Modernisation de la diffusion audiovisuelle et télévision du futur
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
mes chers collègues,
Après avoir examiné si laborieusement le projet de loi DADVSI il y a quelques mois, nous voilà à nouveau amenés à débattre d’une question qui, d’apparence technique, soulève en réalité de véritables enjeux. Enjeux de société, enjeux culturels, enjeux économiques, enjeux industriels, enjeux, en définitive, éminemment politiques. Et à nouveau, nous voilà, avec votre gouvernement, Monsieur le Ministre, confrontés aux mêmes difficultés : d’un côté, une impartialité sujette à caution, souvent éloignée des intérêts de nos concitoyens ; de l’autre, une incapacité, décidément chronique, à saisir les enjeux de la révolution numérique.
Qu’il faille adapter nos modes de diffusion de la télévision aux évolutions technologiques ne fait naturellement aucun doute. Nul doute non plus qu’il faille saisir cette opportunité à des fins de diversification et de pluralisme du paysage audiovisuel, qui en a d’ailleurs bien besoin. Sur ce point, les députés socialistes vous rejoignent Monsieur le Ministre. Mais là s’arrêteront sans doute nos convergences avec le gouvernement, tant les objectifs qu’il proclame en restent, à travers ce projet de loi, au stade de vœux pieux, tant l’avenir qu’il nous propose suscite, dans les rangs de l’opposition comme chez nombre d’acteurs de l’audiovisuel, de vives inquiétudes.
Pourtant, on ne peut vous accuser, Monsieur le Ministre, de ménager votre peine pour tenter d’emporter l’adhésion du plus grand nombre. Vous n’avez de cesse de brandir l’étendard du pluralisme, de l’indépendance et de la diversité culturelle ou encore d’évoquer « un nouveau chapitre de l’histoire de la télévision ». Vous recourez même au terme magique de « télévision du futur » pour dénommer ce projet de loi. Et puis, comme pour parfaire le tout, comme pour donner à ce texte fière allure, vous avez, lors de votre discours introductif au Sénat au mois de novembre dernier, convoqué André Malraux pour qui – je cite les mots que vous avez rapportés – « la télévision contraint l’homme à l’imaginaire ».
Difficile pourtant, à la lecture de ce texte, de parler d' »imagination au pouvoir » – si ce n’est lorsqu’il s’agit de faire la part belle aux opérateurs historiques privés. Et puis, moi aussi, je pourrais me prêter à ce petit jeu des grands auteurs et, à mon tour, évoquer le même André Malraux qui écrivait dans Antimémoires : « La vérité d’un homme, c’est d’abord ce qu’il cache. Sa réalité : le masque qu’il porte ». A l’appui de cette illustre citation, je pourrais alors dire que la « vérité » de ce texte, ne réside pas tant ses objectifs affichés – nous les partageons ! – que dans les moyens qu’il met en œuvre pour y parvenir – et nous ne les partageons pas ! Je pourrais alors dire que la « réalité » de ce texte, ou plus précisément sa temporalité, n’est pas l’avenir mais plutôt le passé. Car à l’évidence, le terme » télévision du futur » apparaît quelque peu décalé tant ce projet de loi relève d’une vision archaïque des médias à l’ère du numérique. A moins qu’il ne s’agisse tout simplement d’une erreur de concordance des temps et, dans ce cas, acceptez, Monsieur le Ministre, la correction de votre copie proposée par l’Association des Villes et Collectivités pour les Communications électroniques et l’Audiovisuel (AVICCA) qui estime plus approprié de parler de « télévision du futur antérieur ».
Vision datée donc. Mais comment aurait-il pu en être autrement ? Car il est évident que le parti pris qui a présidé à l’élaboration de ce texte vous a conduit à faire l’impasse sur les évolutions majeures opérées ces dernières années dans le domaine de l’audiovisuel. La relation des téléspectateurs au petit écran s’est considérablement transformée. En témoignent par exemple l’émergence de nouveaux modes de consommation, comme la vidéo à la demande, les web-télés ou encore le podcasting. Même Etienne Mougeotte estime, dans Le Monde du 30 décembre dernier, qu' »il n’y a plus d’effet de chaînes ». Et pourtant, la télévision que vous nous proposez reste ce média unidirectionnel et prescriptif.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, faute d’avoir engagé une réflexion sur ce qu’est et sera la télévision, ce projet de loi s’inscrit à contre courant de ces évolutions. Et voilà pourquoi, Monsieur le Ministre, ce projet de loi, que l’on peut qualifier sans polémique aucune, de conservateur, ne pourra, hélas, recueillir un vote dépassant les clivages partisans, comme pourtant vous l’appelez de vos vœux. Ce manque criant de vision à long terme conduit, en effet, à ne pas éviter deux écueils majeurs.
1) Le premier, c’est de considérer que la multiplication des canaux suffit à répondre aux exigences de diversité culturelle et de pluralisme. Comme si les tuyaux importaient plus que ce qui y circule. Du coup, là où le passage au numérique représente l’occasion de modifier la donne et de remédier au niveau élevé et préoccupant de concentration des médias dans notre pays, le gouvernement semble se satisfaire des déséquilibres existants. Quitte même à les accentuer. Sous prétexte d’adaptation technologique, ce texte aura ainsi pour conséquence de concentrer, dans les mains de quelques-uns, les chaînes de télévision, les programmes et l’information. Car, quel pluralisme, quelle indépendance des médias, quelle diversité culturelle, quand de grands éditeurs nationaux privés se voient accorder autant de faveurs ? La liste est longue.
Première faveur, une prorogation de cinq ans de leur autorisation de diffusion. Nous déposons à ce titre un amendement visant à ce que ces prorogations soient assorties d’obligations supplémentaires en termes de participation au développement de la création et des industries de programme.
Deuxième faveur, et non des moindres, les chaînes « bonus ». Cette disposition, que vous appelez « juste compensation », n’est pas acceptable. Des garde-fous sont déjà prévus pour que ces chaînes ne pâtissent pas du passage au numérique puisqu’il reviendra au CSA de fixer les dates des extinctions en analogique en « tenant compte de l’équipement des foyers pour la réception de la TNT ». Alors en rajouter avec l’octroi de chaînes bonus à des groupes dont certains ont tenté d’entraver le développement de la TNT lors de son lancement, laisse quelque peu songeur sur les réelles intentions du gouvernement. Surtout à la veille d’échéances électorales de premier ordre. Nul ne sera donc surpris que le groupe socialiste suive l’avis de l’ARCEP et du CSA et propose la suppression de cette disposition.
Troisième faveur, la question, sensible il est vrai, de la numérotation. Les distributeurs, souvent liés à des grands éditeurs privés ne peuvent se retrouver juges et parties et, en la matière, les chaînes gratuites de la TNT ne doivent pas être exposées au risque d’une numérotation discriminatoire. Elles doivent au contraire bénéficier d’une même numérotation, celle attribuée par le CSA, quel que soit le support de diffusion, câble, satellite, ADSL ou TNT.
Espérons enfin que dans sa grande sagesse, notre assemblée ne cédera pas à la tentation d’accorder à certaines chaînes une énième faveur en adoptant un amendement du rapporteur visant à intégrer les vidéo-musiques dans le sous-quota des œuvres définies comme patrimoniales. Les sénateurs, à l’unanimité, sont parvenus à une définition consensuelle de l’œuvre audiovisuelle en excluant de son champ les émissions de télé-réalité. Il serait dommageable que notre assemblée ouvre à nouveau la boîte de Pandore en y incluant les clips – pourquoi pas alors les spots publicitaires ? – qui sont avant tout des outils de promotion.
Voilà donc ce que vous appelez un projet équilibré. Certes, les opérateurs historiques sont des acteurs essentiels du paysage audiovisuel et des contributeurs importants au financement de la création dans notre pays. Mais, il nous apparaît déraisonnable que, par ces mesures à effets anticoncurrentiels, soit ainsi renforcée leur position oligopolistique. C’est pourquoi, conformément aux préconisations du rapport Lancelot, notre groupe est à l’initiative d’un amendement instaurant – enfin – un dispositif anti-concentration efficace. Puisse-t-il être adopté et notre assemblée aura redonné toutes ses lettres de noblesse au principe de pluralisme.
Car la conséquence inévitable de ce PAF réorganisé pour les ambitions des grands groupes, c’est l’isolement des chaînes publiques et le frein au développement des chaînes indépendantes. Les défis qui attendent le service public sont colossaux. Or, quelle place occupera-t-il demain s’il n’obtient de sa tutelle que des moyens lui permettant de survivre ? Sans augmentation du montant de ses recettes provenant de la redevance – qui reste l’une des plus faibles d’Europe – sans nouvelles sources de financement autres que celles des écrans publicitaires – cette année encore le budget que vous avez alloué à l’audiovisuel public fait la part belle aux ressources propres – nous exprimons de vives inquiétudes quant à sa capacité à rester une véritable alternative pour les téléspectateurs. Quant aux chaînes indépendantes, l’autre parent pauvre de ce projet de loi, elles ne peuvent être les oubliées de la numérisation. C’est tout le sens d’une série d’amendements que nous avons déposés que de donner au CSA des moyens de régulation en faveur du pluralisme des programmes et de la diversification des opérateurs dans le domaine de la télévision locale ainsi que dans les nouveaux modes de diffusion que sont la TVHD et la TMP.
Enfin, que vient faire la radio dans un projet de loi relatif à la télévision alors même que le CSA a lancé une procédure de consultation publique en vue du lancement de la radio numérique ? Cet article 5 quater, dont nous demandons naturellement la suppression, aurait pour conséquence de faire exploser l’équilibre radiophonique français puisqu’il n’envisage que deux types de services radios alors qu’existent cinq catégories de radios privées et une diversité de radios publiques. Et il est d’ailleurs surprenant qu’au détour d’un sous-article la radio ait été introduite dans ce texte, alors qu’on ne trouve nulle trace d’un autre média qui, lui, y aurait pourtant eu toute sa place.
2) Et c’est là le second écueil de ce projet de loi : il occulte totalement les nouveaux modes de production et de consommation de la télévision à l’ère du numérique. Internet est le grand absent de ce texte. Il est vrai que cela ne nous étonne guère puisque nous connaissions déjà, Monsieur le Ministre, – les débats sur la DADVSI l’ont illustrés – votre méfiance face à ce mode de communication décentralisé et votre propension à freiner les échanges sur les réseaux. Quoi qu’il en soit, les faits sont là. La convergence entre l’Internet et la télévision est aujourd’hui une réalité. La plupart des fournisseurs d’accès proposent des offres « triple-play », comprenant un bouquet de chaînes de télévision et, parallèlement, les web-télés attirent un nombre croissant d’internautes. Le CSA a émis un avis très réservé sur la qualité des programmes actuellement diffusés sur la TNT. Pourquoi, dès lors, ne pas mieux prendre en compte l’essor des télévisions sur Internet et encourager le soutien aux contenus qui y sont produits ? Aussi, le groupe socialiste souhaite-t-il s’inscrire, à travers une série d’amendements, dans une démarche résolument constructive.
Nous proposons, tout d’abord, qu’une part du dividende numérique soit utilisée pour le développement des réseaux de communications électroniques et de téléphonies, autrement dit pour la couverture du territoire en haut-débit et pour la lutte contre le fossé numérique.
Afin de soutenir toutes les nouvelles formes de création, nous sommes également à l’initiative d’un amendement visant à ce que les FAI, qui jouent sur le web le rôle de distributeurs, contribuent aux comptes de soutien aux industries cinématographiques et audiovisuelles (COSIP). L’adoption d’une telle mesure doit bien évidemment être accompagnée d’une évolution réglementaire visant à ce que les créateurs diffusant leurs œuvres en ligne puissent accéder aux différents fonds de soutien à la création.
Posons, par ailleurs, clairement le principe selon lequel les télévisions gratuites ne peuvent s’opposer à la reprise intégrale et simultanée de leurs programmes. Il n’est en effet pas satisfaisant que les FAI proposant des bouquets doivent négocier avec les chaînes gratuites pour les intégrer à leur offre.
Enfin, garantissons à tous les développeurs de logiciels, notamment ceux du libre, d’être en mesure de créer les logiciels nécessaires à la réception des programmes télévisuels et, par conséquent, veillons à ce que toutes les informations nécessaires soient disponibles et librement utilisables. Il serait pour le moins paradoxal de s’opposer à une telle mesure, alors même que notre assemblée s’est déjà prononcée, pour son propre fonctionnement, en faveur de la mise en place de standards ouverts.
Autant de dispositions qui, si elles étaient adoptées, permettraient de donner toute sa place à Internet dans le paysage audiovisuel. Car, la télévision du futur, telle que nous la concevons en tout cas, ne saurait aller à rebours de l’histoire.
Monsieur le Ministre, mes chers collègues. Le passage au tout numérique représente une formidable chance pour répondre aux enjeux d’une offre télévisuelle pluraliste, indépendante et diverse. Oui, Monsieur le Ministre, il aurait pu être question, pour reprendre vos propres termes, d' »un acte fondateur ». Hélas, on ne peut que regretter que le gouvernement, privilégiant les intérêts de quelques uns, ait mis de côté les intérêts du plus grand nombre. Et comme dans bien d’autres domaines, il reviendra très certainement à une autre majorité d’élaborer une loi d’avenir.