Proposition de loi portant pénalisation des propos à caractère discriminatoire

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 novembre 2003.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Si la discrimination existe dans notre code pénal (art. 225-1), la tenue de propos discriminatoires n’est pas sanctionnée de la même façon selon les types de discriminations. Cette différence de traitement introduit de facto une discrimination là où l’on souhaite la combattre. Pourtant, l’expression d’une diffamation, d’une injure, ou plus gravement d’une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence ne saurait être traitée de manière ordinaire.
Une pénalisation plus forte existe déjà lorsque de tels propos sont proférés à raison de l’origine ou de l’appartenance ou de la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. L’objet de cette proposition est de placer sur le même plan pénal l’ensemble des propos à caractère discriminatoire. De la sorte, un propos diffamatoire à raison du sexe, de l’état de santé, du handicap, des mœurs, de l’orientation sexuelle, sera de même gravité qu’un propos diffamatoire à raison de la religion par exemple.
La discrimination fondée sur les mœurs, l’orientation sexuelle, le sexe, ou sur tout autre trait particulier relève d’une vision réductrice de la personne. Les poncifs et les amalgames les plus odieux servent alors de prétexte au rejet social.
Réduire de la sorte l’individu à un trait particulier, c’est nier, par l’exclusion, sa citoyenneté. Cette proposition vise alors à restaurer le principe d’égalité ainsi mis à mal. Car inscrire dans la loi le refus de toute mécanique discriminatoire, c’est se placer à l’antipode d’une optique communautaire : c’est rendre aux personnes concernées la pleine jouissance de leur citoyenneté.
Rappelons par ailleurs que de nombreux pays, dont la France, ont reconnu la nécessité de protéger la société contre les attaques spécifiques dont peuvent être victimes les personnes. A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l’émotion soulevée par la découverte de plans de persécutions systématiques contre différents groupes sociaux a poussé la communauté internationale à adopter la convention de Genève.
Au niveau européen, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales fut adoptée en 1950. La formulation actuelle de l’article 14, qui interdit les discriminations, mentionne des motifs couvrant la plupart des groupes sociaux persécutés par le régime nazi en Allemagne entre 1933 et 1945.
C’est en se fondant notamment sur ces éléments que le dispositif antidiscriminatoire a été introduit dans notre droit. Il s’agit maintenant de le compléter en interdisant tous les propos discriminatoires sur un principe commun.
Cette proposition de loi propose donc un  » toilettage  » des textes. En reprenant dans la loi sur la presse des éléments constitutifs de discrimination au sens pénal, on atteint une plus grande cohérence de nos textes. Cette cohérence est nécessaire car il s’agit d’éléments de même nature : les motifs de discrimination correspondent à une réalité sociale variée mais qui appelle la même protection.
En luttant ainsi contre la discrimination, on inscrit encore plus lisiblement l’exigence de fraternité qui doit prévaloir dans notre société. Cette loi inscrira dans l’ordre juridique la détermination de notre pays à ne pas tolérer les propos de haine et de rejet.
La France a enrichi son code pénal en 1985 en élargissant la notion de discrimination à d’autres motifs que la race ou la religion tels que le sexe, la situation de famille, l’état de santé, le handicap, les mœurs. Quinze ans plus tard, elle pourra à nouveau donner une lecture généreuse des droits de l’homme en harmonisant sur cette base élargie la pénalisation des propos à caractère discriminatoire.

PROPOSITION DE LOI

Article unique
I. – Le premier alinéa de l’article 13-1 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 est ainsi rédigé : « Le droit de réponse prévu par l’article 13 pourra être exercé par les associations remplissant les conditions prévues par l’article 48-1, lorsqu’une personne ou un groupe de personnes auront, dans un journal ou écrit périodique, fait l’objet d’imputations susceptibles de porter atteinte à leur honneur ou à leur réputation à raison de leur origine, de leur sexe, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »
II. – Le huitième alinéa de l’article 24 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 est ainsi rédigé : « Ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un emprisonnement d’un an et de 45 000 € d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement. »
III. – Le deuxième alinéa de l’article 32 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 est ainsi rédigé : « La diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, sera punie d’un emprisonnement d’un an et de 45 000 € d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement. »
IV. – Le troisième alinéa de l’article 33 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 est ainsi rédigé : « sera punie de six mois d’emprisonnement et de 22 500 € d’amende l’injure commise, dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »
V. – Le septième alinéa (6°) de l’article 48 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 est ainsi rédigé : « Dans le cas de diffamation envers les particuliers prévu par l’article 32, et dans le cas d’injure prévu par l’article 33, paragraphe 2, la poursuite n’aura lieu que sur la plainte de la personne diffamée ou injuriée. Toutefois, la poursuite pourra être exécutée d’office par le ministère public lorsque la diffamation ou l’injure aura été commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »
VI. – Le premier alinéa de l’article 48-1 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 est ainsi rédigé : « Toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant par ses statuts de défendre la mémoire des esclaves et l’honneur de leurs descendants, de combattre la discrimination fondée sur l’origine, le sexe, l’état de santé, le handicap, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ou d’assister les victimes de ces discriminations peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues par les articles 24 (huitième alinéa), 32 (alinéa 2) et 33 (alinéa 3) de la présente loi. »

N° 1194 – Proposition de loi de M. Patrick Bloche portant pénalisation des propos à caractère discriminatoire

Intervention en séance du 27 Novembre 2003

M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des lois – La proposition de loi du groupe socialiste vise à franchir une nouvelle étape sur le long chemin de l’égalité des droits.
Parce que nous sommes tous des républicains, nous nourrissons le même attachement pour le principe constitutionnel d’égalité proclamé dès l’article premier de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Or, ce principe fondateur du pacte républicain est bafoué par l’existence de pratiques discriminatoires. Stigmatiser les personnes pour ce qu’elles sont constitue pourtant une atteinte intolérable à leur dignité et à leur citoyenneté.
Le risque pour notre « vivre ensemble » est que les individus ou les groupes sociaux qui en sont victimes se replient sur eux-mêmes, voire s’inscrivent dans une démarche communautariste. A cet égard, la lutte contre les discriminations participe de notre mobilisation collective en faveur de la laïcité, qui a retrouvé toute son actualité et renforce la cohésion nationale.
La France a renforcé ces dernières années une législation sur la non-discrimination au premier rang de laquelle se trouvent les dispositions relatives à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Demeurent cependant des discriminations liées au sexe, à l’état de santé, au handicap ou à l’orientation sexuelle. La présente proposition de loi a donc pour objet de réprimer les propos d’exclusion en harmonisant et en complétant notre législation.
Si les différentes formes de discrimination sont sanctionnées par le code pénal et le code du travail, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse réprime les seuls propos discriminatoires à caractère raciste, antisémite ou xénophobe. Elle laisse ainsi subsister une discrimination là où on voudrait la combattre.
Il faut donc combler ce vide juridique en pénalisant l’ensemble des propos et écrits à caractère discriminatoire, sans hiérarchiser les discriminations ni aggraver les peines existantes – un an d’emprisonnement et/ou 45 000 € d’amende.
Il ne s’agit pas d’imposer une sorte de « politiquement correct » ou un « ordre moral à l’envers ». Nul esprit de censure ou de restriction de la libre critique ne nous anime. La promotion de l’égalité ne saurait se faire au détriment de la liberté. Seules sont donc visées l’injure, la diffamation, la provocation à la discrimination, à la haine ou la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes. C’est la force de notre démocratie de refuser la logique non restrictive du premier amendement de la constitution américaine. Notre référence demeure la grande loi de 1881, qui assure l’équilibre entre la liberté d’expression et la sanction de ses abus. Il ne s’agit pas de réprimer toute opinion discutable, mais de sanctionner les débordements expressément prévus par la loi.
Encouragée par une résolution de l’Union européenne, la France a construit en faveur de la non-discrimination un édifice juridique dont la consolidation se poursuit. Au coeur de ce dispositif figure l’article 225-1 du code pénal, qui définit la discrimination et dont la rédaction a été régulièrement enrichie.
Des progrès récents ont été enregistrés en matière de discrimination fondées sur le sexe ou l’orientation sexuelle : inscription de la parité dans la Constitution en 1999, la loi du 8 mai 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, loi du 15 juin 2000 autorisant les associations qui combattent les discriminations fondées sur le sexe ou les moeurs à exercer les droits reconnus à la partie civile.
La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a ensuite modifié le code du travail sur un terrain particulièrement sensible. Enfin, la loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure a inséré dans le code pénal, à la suite d’un amendement de Pierre Lellouche repris par le groupe socialiste, un article 132-77 constituant le mobile homophobe en circonstance aggravante de certaines infractions pénales. A cette occasion, le ministère de l’intérieur a reconnu la nécessité de lutter « contre toute forme d’homophobie », reprenant ainsi un engagement du Président de la République qui l’avait jugée, lors de la campagne présidentielle,  » aussi condamnable que le sexisme ou le racisme « .
Le Garde des Sceaux lui-même a assuré, dans une réponse à une question écrite de notre collègue Emmanuel Hamelin, que « les modifications législatives à venir permettront de parfaire la protection des homosexuels aussi bien dans le domaine des discriminations qu’en cas d’agressions physiques ou verbales à caractère homophobe, et permettront aux associations de lutte contre l’homophobie de remplir au mieux leurs missions ». Le 2 octobre, au Sénat, il est allé jusqu’à exprimer le v_u de voir le Parlement « légiférer sur cette question dans les tout prochains mois ».
Dois-je enfin rappeler l’engagement pris par le Premier ministre le 18 juillet, de mettre à l’ordre du jour un projet de loi permettant de finaliser les propos à caractère discriminatoire ?
Le fait est que si la pénalisation des actes discriminatoires à raison du sexe, des moeurs, de l’orientation sexuelle, de l’état de santé ou du handicap a progressé, celle des propos ou écrits de nature discriminatoire reste à réaliser.
Et si, de manière exemplaire, le tribunal de Charleville-Mézières a condamné deux jeunes gens à deux mois de prison ferme pour violences à caractère homophobe commises en réunion, l’arrêt de la Cour de cassation du 30 janvier 2001 nous rappelle a contrario que la pénalisation des propos discriminatoires visés par la présente proposition se heurte à un vide juridique, ces propos ne pouvant être sanctionnés sur le fondement de l’article 24, huitième alinéa, de la loi de 1881.
Le législateur se trouve donc directement interpellé, et l’initiative du groupe socialiste vise à combler ce vide juridique. Elle s’inscrit dans une démarche globale de lutte contre les discriminations. Les propos discriminatoires à l’égard des handicapés ou des personnes malades requièrent la même vigilance que les propos sexistes ou homophobes ; ils participent de cette intolérance que la République doit combattre. Le soutien apporté à notre proposition par de nombreuses associations, est à cet égard plus qu’un encouragement : c’est un signe fort adressé à la représentation nationale.
Le texte que nous examinons vise à modifier six articles de la loi de 1881. Il complète le délit de provocation par les motifs de discrimination suivants : le sexe, l’état de santé, le handicap les m_urs et l’orientation sexuelle. Il inscrit ces motifs comme circonstance aggravante des délits de diffamation et d’injure, comme c’est déjà le cas lorsque ces délits sont commis à raison de l’origine, l’appartenance ou la non-appartenance de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Il modifie les règles de poursuite pour ces délits aggravés. Il permet enfin aux associations ayant pour objet de combattre ces discriminations de se porter partie civile.
La commission a relevé que la proposition ne reprend pas l’ensemble des motifs de discrimination énoncés à l’article 225-1 du code pénal. Il est en effet apparu nécessaire d’analyser la pertinence des motifs figurant dans cet article au regard de l’expression publique. Par ailleurs, comme l’a très justement souligné le Garde des Sceaux, au Sénat, le 2 octobre, des motifs tels que les activités syndicales ou les opinions politiques ne peuvent faire l’objet d’une pénalisation sans porter atteinte à la liberté d’expression.
De la même façon, invité à introduire un motif de discrimination supplémentaire fondé sur le genre, votre rapporteur exprime le souhait que ce motif spécifique aux personnes transsexuelles soit préalablement défini à l’article 225-1 du code pénal.
Les types de discrimination qu’il vous est proposé d’insérer dans la loi de 1881 sont justifiés par leur actualité et leur acuité. Par cette proposition, nous contribuons à d’autres luttes : le combat, auquel nous sommes tous sensibilisés, contre les violences faites aux femmes ; la campagne des Nations unies contre la stigmatisation et les discriminations liées au sida – les malades du sida n’étant naturellement pas les seuls à subir des discours de rejet du fait de leur état de santé ; en cette année européenne du handicap, la protection des personnes handicapées contre les discriminations. Enfin, le meurtre d’un jeune homme, à Reims, en septembre a rappelé jusqu’où pouvait conduire l’homophobie.
Il y a donc urgence. Pourquoi alors tarder à légiférer en un domaine où majorité et opposition, au gré des alternances, ont su se retrouver pour faire vivre la devise de la République ?
Il y a quelque paradoxe pour notre rapporteur à informer notre assemblée, en conclusion, que la commission a rejeté l’article unique de la proposition.

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Intervention en séance du 27 Novembre 2003

M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des lois – La proposition de loi du groupe socialiste vise à franchir une nouvelle étape sur le long chemin de l’égalité des droits.
Parce que nous sommes tous des républicains, nous nourrissons le même attachement pour le principe constitutionnel d’égalité proclamé dès l’article premier de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Or, ce principe fondateur du pacte républicain est bafoué par l’existence de pratiques discriminatoires. Stigmatiser les personnes pour ce qu’elles sont constitue pourtant une atteinte intolérable à leur dignité et à leur citoyenneté.
Le risque pour notre « vivre ensemble » est que les individus ou les groupes sociaux qui en sont victimes se replient sur eux-mêmes, voire s’inscrivent dans une démarche communautariste. A cet égard, la lutte contre les discriminations participe de notre mobilisation collective en faveur de la laïcité, qui a retrouvé toute son actualité et renforce la cohésion nationale.
La France a renforcé ces dernières années une législation sur la non-discrimination au premier rang de laquelle se trouvent les dispositions relatives à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Demeurent cependant des discriminations liées au sexe, à l’état de santé, au handicap ou à l’orientation sexuelle. La présente proposition de loi a donc pour objet de réprimer les propos d’exclusion en harmonisant et en complétant notre législation.
Si les différentes formes de discrimination sont sanctionnées par le code pénal et le code du travail, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse réprime les seuls propos discriminatoires à caractère raciste, antisémite ou xénophobe. Elle laisse ainsi subsister une discrimination là où on voudrait la combattre.
Il faut donc combler ce vide juridique en pénalisant l’ensemble des propos et écrits à caractère discriminatoire, sans hiérarchiser les discriminations ni aggraver les peines existantes – un an d’emprisonnement et/ou 45 000 € d’amende.
Il ne s’agit pas d’imposer une sorte de « politiquement correct » ou un « ordre moral à l’envers ». Nul esprit de censure ou de restriction de la libre critique ne nous anime. La promotion de l’égalité ne saurait se faire au détriment de la liberté. Seules sont donc visées l’injure, la diffamation, la provocation à la discrimination, à la haine ou la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes. C’est la force de notre démocratie de refuser la logique non restrictive du premier amendement de la constitution américaine. Notre référence demeure la grande loi de 1881, qui assure l’équilibre entre la liberté d’expression et la sanction de ses abus. Il ne s’agit pas de réprimer toute opinion discutable, mais de sanctionner les débordements expressément prévus par la loi.
Encouragée par une résolution de l’Union européenne, la France a construit en faveur de la non-discrimination un édifice juridique dont la consolidation se poursuit. Au coeur de ce dispositif figure l’article 225-1 du code pénal, qui définit la discrimination et dont la rédaction a été régulièrement enrichie.
Des progrès récents ont été enregistrés en matière de discrimination fondées sur le sexe ou l’orientation sexuelle : inscription de la parité dans la Constitution en 1999, la loi du 8 mai 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, loi du 15 juin 2000 autorisant les associations qui combattent les discriminations fondées sur le sexe ou les moeurs à exercer les droits reconnus à la partie civile.
La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a ensuite modifié le code du travail sur un terrain particulièrement sensible. Enfin, la loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure a inséré dans le code pénal, à la suite d’un amendement de Pierre Lellouche repris par le groupe socialiste, un article 132-77 constituant le mobile homophobe en circonstance aggravante de certaines infractions pénales. A cette occasion, le ministère de l’intérieur a reconnu la nécessité de lutter « contre toute forme d’homophobie », reprenant ainsi un engagement du Président de la République qui l’avait jugée, lors de la campagne présidentielle,  » aussi condamnable que le sexisme ou le racisme « .
Le Garde des Sceaux lui-même a assuré, dans une réponse à une question écrite de notre collègue Emmanuel Hamelin, que « les modifications législatives à venir permettront de parfaire la protection des homosexuels aussi bien dans le domaine des discriminations qu’en cas d’agressions physiques ou verbales à caractère homophobe, et permettront aux associations de lutte contre l’homophobie de remplir au mieux leurs missions ». Le 2 octobre, au Sénat, il est allé jusqu’à exprimer le v_u de voir le Parlement « légiférer sur cette question dans les tout prochains mois ».
Dois-je enfin rappeler l’engagement pris par le Premier ministre le 18 juillet, de mettre à l’ordre du jour un projet de loi permettant de finaliser les propos à caractère discriminatoire ?
Le fait est que si la pénalisation des actes discriminatoires à raison du sexe, des moeurs, de l’orientation sexuelle, de l’état de santé ou du handicap a progressé, celle des propos ou écrits de nature discriminatoire reste à réaliser.
Et si, de manière exemplaire, le tribunal de Charleville-Mézières a condamné deux jeunes gens à deux mois de prison ferme pour violences à caractère homophobe commises en réunion, l’arrêt de la Cour de cassation du 30 janvier 2001 nous rappelle a contrario que la pénalisation des propos discriminatoires visés par la présente proposition se heurte à un vide juridique, ces propos ne pouvant être sanctionnés sur le fondement de l’article 24, huitième alinéa, de la loi de 1881.
Le législateur se trouve donc directement interpellé, et l’initiative du groupe socialiste vise à combler ce vide juridique. Elle s’inscrit dans une démarche globale de lutte contre les discriminations. Les propos discriminatoires à l’égard des handicapés ou des personnes malades requièrent la même vigilance que les propos sexistes ou homophobes ; ils participent de cette intolérance que la République doit combattre. Le soutien apporté à notre proposition par de nombreuses associations, est à cet égard plus qu’un encouragement : c’est un signe fort adressé à la représentation nationale.
Le texte que nous examinons vise à modifier six articles de la loi de 1881. Il complète le délit de provocation par les motifs de discrimination suivants : le sexe, l’état de santé, le handicap les m_urs et l’orientation sexuelle. Il inscrit ces motifs comme circonstance aggravante des délits de diffamation et d’injure, comme c’est déjà le cas lorsque ces délits sont commis à raison de l’origine, l’appartenance ou la non-appartenance de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Il modifie les règles de poursuite pour ces délits aggravés. Il permet enfin aux associations ayant pour objet de combattre ces discriminations de se porter partie civile.
La commission a relevé que la proposition ne reprend pas l’ensemble des motifs de discrimination énoncés à l’article 225-1 du code pénal. Il est en effet apparu nécessaire d’analyser la pertinence des motifs figurant dans cet article au regard de l’expression publique. Par ailleurs, comme l’a très justement souligné le Garde des Sceaux, au Sénat, le 2 octobre, des motifs tels que les activités syndicales ou les opinions politiques ne peuvent faire l’objet d’une pénalisation sans porter atteinte à la liberté d’expression.
De la même façon, invité à introduire un motif de discrimination supplémentaire fondé sur le genre, votre rapporteur exprime le souhait que ce motif spécifique aux personnes transsexuelles soit préalablement défini à l’article 225-1 du code pénal.
Les types de discrimination qu’il vous est proposé d’insérer dans la loi de 1881 sont justifiés par leur actualité et leur acuité. Par cette proposition, nous contribuons à d’autres luttes : le combat, auquel nous sommes tous sensibilisés, contre les violences faites aux femmes ; la campagne des Nations unies contre la stigmatisation et les discriminations liées au sida – les malades du sida n’étant naturellement pas les seuls à subir des discours de rejet du fait de leur état de santé ; en cette année européenne du handicap, la protection des personnes handicapées contre les discriminations. Enfin, le meurtre d’un jeune homme, à Reims, en septembre a rappelé jusqu’où pouvait conduire l’homophobie.
Il y a donc urgence. Pourquoi alors tarder à légiférer en un domaine où majorité et opposition, au gré des alternances, ont su se retrouver pour faire vivre la devise de la République ?
Il y a quelque paradoxe pour notre rapporteur à informer notre assemblée, en conclusion, que la commission a rejeté l’article unique de la proposition.