Action extérieure de l’Etat – Rayonnement culturel et scientifique
(Rapport pour avis n°2569 tome 1 – Commission des Affaires culturelles)
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,
en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, je souhaite tout d’abord exprimer mon insatisfaction de voir la « diplomatie culturelle » de la France perdre toute cohérence en raison d’une répartition artificielle des crédits sur plusieurs programmes budgétaires.
Avec le nouveau découpage, le réseau culturel et scientifique implanté dans les pays développés ou en transition relève en effet du programme « Rayonnement culturel et scientifique », tandis que le réseau culturel implanté dans les pays bénéficiaires de l’aide publique au développement relève du programme » Solidarité à l’égard des pays en voie de développement « .
D’autres incohérences méritent d’être soulignées. Ainsi, les crédits relatifs à la francophonie relèvent, pour ce qui concerne leur aspect multilatéral, de la mission interministérielle » Aide publique au développement » et représentent les deux tiers des moyens d’action de la francophonie institutionnelle. Cette traduction budgétaire signifie-t-elle que la promotion de la langue française doive désormais se limiter aux seuls pays en voie de développement ?
Il est également regrettable que les crédits de l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger – l’AEFE – relèvent désormais du programme « Français à l’étranger et étrangers en France ».
Il convient en effet de rappeler que, pour l’année scolaire 2004-2005, ce réseau d’établissements a accueilli 160 000 élèves, dont 90 000 sont étrangers, ce qui prouve bien que l’AEFE a un rôle déterminant dans la diffusion de la culture et de la langue françaises auprès des élèves étrangers, qui représentent 56 % de l’ensemble des élèves, donc la majorité. Aussi, je me félicite que la commission des affaires étrangères ait adopté l’amendement proposé par François Rochebloine qui prévoit de transférer les crédits de l’AEFE vers le programme » Rayonnement culturel et scientifique « .
Un autre paradoxe doit être relevé quant aux crédits affectés à l’audiovisuel extérieur : les crédits consacrés à TV5 et à RFI, même s’ils concernent des actions menées à destination des pays en voie de développement, sont regroupés dans le programme » Rayonnement culturel et scientifique » car ils ne sont pas reconnus par l’OCDE comme de l’aide publique au développement.
En revanche, les crédits affectés à la chaîne d’information internationale CII font partie de la mission « Médias », qui est elle-même rattachée aux services du Premier ministre.
Cet éclatement des moyens consacrés à l’audiovisuel extérieur n’incitera pas à une mutualisation des apports des différents opérateurs intervenant à l’international et risque même de créer une concurrence bien inutile entre les opérateurs financés sur des fonds publics et visant les mêmes publics.
Pour que les moyens de notre audiovisuel extérieur atteignent une taille critique et que la politique menée soit cohérente, je soutiendrai donc l’amendement adopté par la commission des affaires étrangères qui vise à créer au sein de la mission « Action extérieure de l’État » un programme spécifique dévolu à l’audiovisuel extérieur.
Même si les comparaisons d’un exercice budgétaire à l’autre sont difficiles en raison des nouvelles normes de la LOLF et du changement de périmètre de notre avis budgétaire, quelques chiffres incontestables soulignent le désengagement de l’État en matière de coopération culturelle, linguistique et scientifique.
Avec 334 millions d’euros de crédits de paiement et 1 371 emplois autorisés, le programme » Rayonnement culturel et scientifique » ne représente que 14 % des crédits de la mission » Action extérieure de l’État « , dont il est, de fait, le parent pauvre.
Les crédits destinés à la promotion de la langue et de la culture française sont en baisse de 4,6 % par rapport à l’année dernière, hors dépenses de personnel.
Les établissements culturels verront leurs crédits d’intervention baisser de 10 % pour l’organisation de manifestations culturelles.
Enfin, les crédits prévus au titre des échanges scientifiques techniques et universitaires connaîtront, eux, une baisse de 8 %.
Alors que la France a été la cheville ouvrière de la convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle, adoptée le 20 octobre 2005, lors de la 33e conférence générale de l’UNESCO, nous pouvions espérer que notre diplomatie culturelle aurait les moyens de ses ambitions. Or nous n’avons pas trouvé la traduction budgétaire des très nombreux discours officiels en faveur de la francophonie et de la diversité culturelle.
Je souhaiterais appeler tout particulièrement l’attention de notre assemblée sur deux questions préoccupantes : les bourses et l’audiovisuel extérieur.
Les dépenses relatives aux bourses devraient atteindre cette année un montant de 20,5 millions d’euros pour un effectif de 4 950 bénéficiaires. Pour 2006, est-il exact, monsieur le ministre, que vous prévoyez une diminution de 10 % du nombre des bourses accordées, les restrictions devant porter principalement sur les bourses linguistiques et les bourses de stages pédagogiques ? Je suis d’autant plus perplexe sur votre politique en matière de bourses que vos services, dans le cadre des réponses au questionnaire budgétaire, nous ont envoyé une note qui annonce des chiffres très différents de ceux indiqués dans le bleu budgétaire.
Très précisément, comment pensez-vous traduire concrètement la priorité que vous exprimez pourtant dans le bleu budgétaire en faveur des nouveaux partenaires au sein de l’Union européenne et des pays dits » du voisinage proche » c’est-à-dire la Russie et l’Ukraine ?
S’agissant de l’audiovisuel extérieur, la reconduction à l’identique des crédits consacrés aux opérateurs audiovisuels intervenant à l’étranger se traduira en fait par une baisse des moyens accordés aux opérateurs de l’ordre de 1,4 % par rapport aux subventions accordées dans le cadre de la loi de finances initiale de 2005, en raison de la revalorisation des salaires des personnels de ces opérateurs.
Le décalage est considérable entre l’objectif affiché de faire de RFI ainsi que de TV5 des vecteurs essentiels de la francophonie ainsi que des promoteurs de la diversité culturelle, et les crédits qui leur sont accordés dans le cadre de ce projet de budget.
Compte tenu du changement de périmètre de cet avis budgétaire par rapport à celui que j’avais présenté l’année dernière sur les crédits des relations culturelles, internationales et de la francophonie, j’ai choisi d’aborder cette année la question de la présence culturelle française en Pologne, pays le plus peuplé d’Europe centrale et avec lequel la France entretient traditionnellement de très étroites relations.
L’entrée dans l’Union européenne de la Pologne est une opportunité pour la France de moderniser sa coopération culturelle avec ce pays pour y intégrer notamment une dimension multilatérale dans le cadre de programmes communautaires de coopération culturelle et scientifique dont l’objectif est de faire émerger une véritable culture européenne respectueuse de la diversité linguistique.
Un déplacement en Pologne du 2 au 4 octobre dernier, m’a ainsi convaincu de la nécessité de s’appuyer sur l’intégration européenne de la Pologne pour y relancer la promotion de la langue et de la culture française.
Si la Pologne n’est pas un pays francophone au sens traditionnel du terme, la langue française dispose cependant d’atouts indéniables dans ce pays : 6 % des Polonais de 15 à 60 ans déclarent connaître le français, soit 1,5 million de personnes. Plus encourageant encore, ils sont 26 % à juger utile de connaître le français à l’heure de l’intégration européenne de la Pologne. Le français semble donc être perçu comme un outil utile de diversification linguistique pour faciliter les négociations dans le cadre communautaire.
L’apprentissage du français, monsieur Myard, devrait progresser à la faveur de l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne. Dans les lycées d’enseignement général, la progression du français est notable, les effectifs passant de 94 000 élèves en 2003-2004 à 100 210 en 2004-2005, soit 13,4 % des lycéens. Certes, c’est moins que l’anglais et l’allemand mais plus, pour la première fois, que le russe. Cette évolution paraît liée à la conjonction de deux facteurs : l’obligation instaurée en 1999 en Pologne d’apprendre deux langues à ce niveau d’enseignement et, surtout, l’entrée de ce pays dans l’Union européenne.
La France possède plusieurs atouts en Pologne : une francophilie très ancienne et une implication forte lors de la campagne de pré-adhésion de la Pologne à l’Union européenne. La France a en effet formé de multiples fonctionnaires en français, notamment pour les préparer aux négociations à Bruxelles, qui se déroulent parfois sans interprétariat.
Il est indispensable de poursuivre cet effort de coopération technique pour permettre à la France de faire connaître ses valeurs de bonne gouvernance démocratique et pour valoriser les échanges de fonctionnaires entre pays fondateurs de l’Union européenne et nouveaux entrants. Ces échanges peuvent être une occasion unique pour la France de faire un travail pédagogique vis-à-vis de nos nouveaux partenaires européens et plaider le bien-fondé de certaines spécificités françaises, comme la notion de service public ou, pourquoi pas, la laïcité.
De fait, je me félicite du dynamisme montré par la France pour affirmer notre présence culturelle dans ce pays et pour œuvrer à la diffusion de la langue française. L’effort budgétaire consenti se doit d’être consolidé dans les prochaines années sans que les financements prévus puissent être remis en cause par des décisions tardives de gel ou d’annulation de crédits aux effets destructeurs.
Je souhaite donc que la présence culturelle française puisse avoir une réelle lisibilité à moyen terme pour permettre un partenariat fructueux avec les acteurs polonais.
Les acquis de la présence française en Pologne sont cependant fragiles. À tout moment, de longs efforts de coopération peuvent être remis en cause par des déclarations de responsables politiques français qui ne mesurent pas bien l’impact que peut avoir une petite phrase, ou un bon mot, à l’extérieur de nos frontières.
Les Polonais sont aujourd’hui encore profondément marqués par les propos du Président de la République – « Je crois qu’ils ont manqué une bonne occasion de se taire » – tenus le 17 février 2003, en réponse à la déclaration des pays d’Europe orientale du groupe de Vilnius du 5 février précédent, lesquels se disaient prêts à contribuer à une coalition internationale sur le dossier irakien.
Pour que cette déclaration n’apparaisse pas comme partisane, qu’il soit clair, mes chers collègues, que le président du groupe d’amitié France-Croatie que je suis au sein de notre assemblée pourrait tout aussi bien témoigner de l’incompréhension, aujourd’hui encore, des Croates à l’égard de la position française, jugée trop complaisante vis-à-vis de l’agressive Serbie, au début du conflit des Balkans, voilà une quinzaine d’années.
Mais j’en reviens à la Pologne et à l’Europe orientale. La déclaration du chef de l’État que j’ai rappelée a été perçue comme l’expression d’une arrogance française alors que la réaction de solidarité atlantiste de ces pays, sans que je veuille en aucun cas la justifier, s’expliquait en grande partie par l’héritage de l’histoire. De même, lors de la campagne pour la ratification du traité constitutionnel européen dans notre pays et à l’occasion de la polémique suscitée par le projet de directive européenne dite Bolkestein, les Polonais ont eu le sentiment que les Français les accusaient d’être responsables d’une remise en cause de leur modèle économique et social. La stigmatisation du » plombier polonais » s’est finalement retournée contre la France, la Pologne ayant réagi avec humour en en faisant un argument de promotion de son tourisme.
Tous nos interlocuteurs en Pologne, qu’ils soient Français ou Polonais, ont souligné cependant que ce protectionnisme social et économique avait eu un effet néfaste sur l’image de la France en Pologne. Comment la France peut-elle se faire le chantre de la diversité culturelle et, par ailleurs, tenir des propos discriminants à l’égard de ses nouveaux partenaires européens ?
Pour contrebalancer cette image négative de la France, je souhaite que notre pays adresse quelques signes forts d’ouverture vis-à-vis de la Pologne et des autres pays de l’Europe orientale : la France pourrait ainsi organiser une saison de la France en Pologne sur le modèle si réussi de Nova Polska, la saison polonaise en France que nous venons de connaître. Cette manifestation pourrait prendre appui sur le réseau très dense des partenariats déjà noués par les collectivités locales françaises avec leurs homologues polonaises.
Dans le domaine de la recherche et de la coopération inter-universitaire, il est urgent de renforcer les partenariats dans le cadre du Triangle de Weimar car l’Allemagne, la Pologne et la France sont trois nations clés dans l’Union européenne pour susciter l’émergence d’une solidarité européenne qui aille au-delà des interdépendances économiques et qui se fonde sur un projet global et partagé. L’échange de chercheurs, d’étudiants et de scientifiques est, à ce titre, un premier pas essentiel au brassage des cultures nationales.
Je terminerai en informant notre assemblée que, contrairement aux conclusions de votre rapporteur pour avis, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a donné un avis favorable aux crédits du programme « Rayonnement culturel et scientifique ».