Francophonie et relations culturelles internationales
(Rapport pour avis n°1864 tome 1 – Commission des Affaires culturelles)
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,
Le rapport que je présente devant vous, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, concerne les crédits pour la francophonie et l’action culturelle extérieure, touchés, comme le reste du budget des affaires étrangères, par la maîtrise des dépenses publiques : en 2005, l’enveloppe totale des crédits dont disposera la Direction générale de la coopération internationale et du développement, la DGCID, augmentera de 1,9 %.
Si l’aide publique au développement est confortée, les crédits pour la francophonie et l’enseignement du français ne répondent pas à la volonté pourtant régulièrement affichée par la France.
Au sein de l’Union européenne et, plus largement, dans toutes les instances internationales, notre pays promeut la diversité culturelle et le multilinguisme, mais il se révèle incapable de traduire cette ambition qui nous rassemble par des moyens financiers proportionnés à cet objectif qualifié de prioritaire. C’est ainsi que les dotations aux établissements culturels baisseront de 2 % en 2005. Les gains de productivité recherchés risquent de se solder, à terme, par un recul de la présence française et un déclin de la francophonie.
S’agissant plus précisément de l’enseignement du français, comment ne pas déplorer la baisse de 2,2 % des crédits accordés à l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger, laquelle, malgré le plan d’orientation stratégique adopté fin 2003, manque justement d’une véritable stratégie et d’une cohérence générale ?
Les conséquences sont la poursuite de la réduction des effectifs du personnel enseignant expatrié, le même malthusianisme en ce qui concerne l’accueil d’enfants étrangers dans nos établissements scolaires et l’attente d’une réflexion majeure sur l’incapacité de la France à proposer une offre universitaire à tous les bacheliers francophones.
A contrario, je souhaiterais saluer l’augmentation de 4,5 % du nombre de boursiers et le sort meilleur fait aux alliances françaises, qui bénéficient d’une croissance de 14,4 % des subventions d’investissement et de 3,3 % des crédits de mise à disposition de personnel.
Ces observations m’ont conduit, pour ce qui est du vote de ces crédits, à m’en remettre à la sagesse de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, qui a émis un avis favorable.
J’en arrive maintenant au cœur de mon rapport : le projet de création d’une chaîne française de télévision internationale. J’aurai le souci de ne pas me montrer répétitif alors que se sont succédé, en deux ans, l’appel à projet de la Direction du développement des médias, les préconisations de M. Philippe Baudillon, le rapport de la mission d’information parlementaire présidée par François Rochebloine et, enfin, le rapport de trop, celui de notre collègue Bernard Brochand.
Le temps passe. On fêtera, en mars prochain, le troisième anniversaire de l’engagement du Président de la République, et nous avons tous constaté – pour, en général, le regretter – que ce projet ne faisait l’objet d’aucune inscription budgétaire en 2005, pas même de quelques crédits pour affiner l’étude de faisabilité.
La communication ministérielle – la rue de Valois s’étant encore fendue d’une déclaration la semaine dernière – se veut rassurante : la création de cette chaîne, considérée comme une « ardente obligation », ne s’est pas perdue dans les oubliettes de notre audiovisuel extérieur. La question : « une chaîne française de télévision internationale, pourquoi et pour quoi faire ? » faisant l’objet d’un consensus national, votre rapporteur pour avis a souhaité renouveler le genre en privilégiant une autre approche : « une chaîne française de télévision internationale, pour qui ? »
Afin de vérifier qu’il existait bien un public pour cette chaîne, j’ai pu me rendre en Égypte, pays ami – où la France jouit d’une image très favorable, forgée notamment par une histoire commune, qui n’a cependant pas connu les tourments de la décolonisation -, pays stratégique sur le plan des relations internationales, pays arabe et, enfin, pays ayant, selon la formule consacrée, « le français en partage », même si notre langue y est minoritaire. Je me propose de vous livrer rapidement ici les enseignements de cette mission, qui sont révélateurs à bien des égards.
J’ai recueilli cette première interpellation dans la bouche d’un de mes interlocuteurs rencontrés au Caire : « Dans un environnement audiovisuel déjà surabondant, une « CNN à la française » – idée sur laquelle nous avons tous tant produit – était le standard il y a quatre ans, c’est-à-dire il y a un siècle. Aujourd’hui, c’est dépassé ! Les rapports sur la chaîne française d’information internationale sont déjà des ouvrages historiques ».
Se pose en effet un choix de stratégie audiovisuelle entre un projet de chaîne globale à destination du monde entier et un projet de chaîne transnationale pour des zones déterminées. Il semblerait que l’avenir soit aux chaînes transnationales ; nous y reviendrons.
En Égypte comme en bien d’autres points du globe, il existe une attente envers la France, qui rencontre opportunément notre désir séculaire de diffuser un message universel au-delà de nos frontières. C’est l’attente de la vision française des affaires du monde, illustrée si fortement lors de l’intervention américaine en Irak. C’est l’attente des modèles que la France peut incarner en matière d’État de droit, de démocratie ou de droits de l’homme. C’est aussi l’attente d’explications, alors que la dernière loi française sur la laïcité n’est pas comprise ou encore que se développe dans notre pays un débat sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
La France est attendue car, contrairement aux États-Unis, elle n’est pas soupçonnée de vouloir exporter un modèle de civilisation. La spécificité française reconnue d’ouverture sur le monde place notre pays en situation de contribuer puissamment au dialogue des cultures.
Une chaîne de télévision internationale devrait par conséquent avoir la capacité d’expliquer la position de la France mais aussi, dans le cadre d’un échange équilibré, de se faire l’écho de ce que les autres pays veulent apporter au monde. Le message devient ainsi plus important que la langue. De même, donner une image renouvelée de la France, puissance économique, commerciale et technologique, apparaît plus déterminant que se contenter d’exprimer la voix de la France.
La langue utilisée est toutefois une caractéristique essentielle. Si l’on prétend toucher un large public dans la zone qui a déjà été jugée prioritaire – celle des pays du Maghreb, du Levant et du Golfe – et, par effet d’audience, intéresser les élites dirigeantes, une télévision en arabe s’impose, plus précisément en arabe médian, ayant accessoirement recours à l’anglais et, bien sûr, au français pour les programmes éducatifs d’apprentissage de notre langue.
Ce souci d’audience, dans un environnement audiovisuel où les chaînes reçues par satellite se comptent déjà par centaines, exige de trouver le bon format : plutôt qu’une chaîne « tout info », c’est sans doute une chaîne généraliste, fondée sur l’information, la connaissance et le divertissement. L’information est incontournable car, dans un pays comme l’Égypte, elle passe par la télévision, le coût des journaux limitant considérablement leur lectorat : ce sont les débats et les confrontations, pour lesquels la France est tout particulièrement attendue ; ce sont les enquêtes et les reportages sur des sujets de société ; ce sont, bien sûr, les films, les œuvres de fiction et même les dessins animés. Quant aux programmes musicaux et au sport – plus précisément le foot, qui fait de Zinédine Zidane le Français de loin le plus populaire -, pour des raisons démographiques, ils attireront un public prioritaire : celui des jeunes, les moins de trente ans, qui, en Égypte comme dans d’autres pays, représentant 70 % de la population. Un autre public visé en priorité lors de l’élaboration de la grille des programmes sera les femmes, ne les oublions pas.
En outre, cette chaîne améliorerait considérablement la visibilité de l’offre culturelle française, notamment celle de nos instituts et centres culturels. Comment valoriser un investissement ?
Joseph Samaha, journaliste libanais récemment cité par Le Monde, constatait que « Le seul rapport de forces qui existe en ce moment entre l’Orient et l’Occident, c’est Al Jazira contre CNN ». Il est à cet égard révélateur qu’Al Jazira, télévision animée par une identité anti-occidentale, quoique issue du modèle occidental – n’oublions jamais que l’état-major initial du groupe provenait du service arabe de la BBC -, ait pour projet de créer dans un an un service en anglais, afin de toucher les populations musulmanes d’Asie.
En Égypte comme dans bien d’autres pays où l’information est contrôlée, on se branche très souvent sur les chaînes internationales par l’intermédiaire de décodeurs pirates, d’où une réelle influence. Mais Deutsche Welle est jugée trop officielle, BBC World trop culturelle, Arte trop ciblée et TV5 – malgré l’engagement remarquable de Serge Adda, dont je tiens ici à saluer avec émotion la mémoire – trop francophone, c’est-à-dire insuffisamment française. L’Union européenne, à l’inverse de la France, n’étant pas encore identifiée, la relance éventuelle du projet de diffusion d’Euronews en arabe n’est pas jugée attractive. Le contre-exemple régulièrement évoqué est sans conteste la chaîne lancée par le Pentagone, Al Hurra, assimilée à une œuvre de propagande alors même qu’elle ne diffuse pas uniquement de l’information.
Pour éviter ces écueils, la chaîne française de télévision internationale devrait se décliner en écrans régionaux, à partir d’une matrice commune, à l’image, par exemple, du mode de fonctionnement de France 3. Afin de diffuser des contenus adaptés au public de chaque zone visée et de prendre en compte leur sensibilité culturelle, ce que ne peut faire une chaîne globale, il apparaît nécessaire de bâtir des partenariats avec les médias locaux ou tout du moins d’associer des journalistes recrutés localement. La mise en place de sociétés de production locales enrichirait les programmes et donnerait un ton propre à chaque rédaction. Émerge ainsi l’idée de chaînes transnationales, plus performantes en audience.
Si la montée dans les bouquets satellitaires offre le mode de diffusion le plus logique, l’audience de cette chaîne serait naturellement encore plus large en cas de négociation de canaux hertziens pays par pays, sans compter l’intérêt qu’auraient les personnes étrangères vivant sur notre territoire à la recevoir.
La conclusion de ce rapport, messieurs les ministres, mes chers collègues, sera sans doute plus traditionnelle si j’évoque l’apport incontournable, pour cette télévision française internationale, de l’AFP, de RFI, de France Télévisions – y compris désormais de RFO -, de TV5, d’Arte et d’Euronews. La future chaîne, en s’appuyant sur les outils existants, aura des effets de synergie qui permettront sans doute, à terme, de réorganiser une offre audiovisuelle extérieure parfois essoufflée. Il convient cependant, dans un premier temps, de jouer la carte des complémentarités plutôt que de vouloir d’emblée rationaliser en supprimant telle ou telle rédaction, ce qui n’aurait pour effet que de freiner les coopérations possibles.
La France, grâce à ce nouveau média, pourra pleinement servir sa vocation internationale, qui s’exprime en trois dimensions : l’Europe, la Méditerranée et la francophonie. Cette chaîne, nous le savons tous, est une occasion unique pour que notre pays fasse entendre sa voix mais aussi pour que toutes les nations puissent s’exprimer, car elle constituera une sorte de formidable caisse de résonance des cultures du monde.