Budget de la Culture 2005

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,


Qu’il est difficile, Monsieur le Ministre, Chers Collègues, de débattre aujourd’hui du Budget de la Culture pour 2005 sans se référer à la crise qui depuis près d’un an et demi frappe l’emploi culturel dans notre pays et qui plus profondément a révélé l’impérieuse nécessité de refonder nos politiques culturelles. Certes, le régime spécifique d’assurance-chômage des intermittents du spectacle est de la compétence des partenaires sociaux et n’a pas d’incidence budgétaire directe. Certes, un débat ici même sur les enjeux culturels se déroulera début décembre. Il reste que les mois passent et les artistes et techniciens du spectacle vivant, du cinéma et de l’audiovisuel qui, victimes du mauvais accord de juin 2003, ne sont plus indemnisés, perdent légitimement patience et nous font partager leur angoisse tant les lendemains tardent à chanter.

Dans l’attente fiévreuse d’un système pérenne et donc nécessairement différent, vous usez, Monsieur le Ministre, d’un talent certain pour occuper le terrain médiatique et par là-même le temps. Las, la communication qui est pourtant sous votre tutelle ministérielle, connaît périodiquement quelques couacs. Ce sont, début septembre, les premières préconisations pour le moins hasardeuses de Monsieur CHARPILLON entre numerus clausus et réduction du champ d’application des annexes 8 et 10 aux métiers ayant – je cite – une proximité avec « l’acteur créateur ». Il y a quinze jours, lors d’entretiens du spectacle vivant guère convaincants, la sélection à l’entrée a refait surface avec la promotion d’une politique nationale de diplômes à défaut de l’instauration d’une carte professionnelle. A cette occasion, est également apparu le contrat à durée déterminée de longue durée, de façon d’autant plus curieuse qu’existe déjà le CDD d’usage.

Toutes ces bouteilles jetées régulièrement à la mer traduisent de fait la poursuite d’un objectif assez clair : la réduction coûte que coûte du nombre des intermittents. Moins d’intermittents, c’est moins de déficit nous disent les gestionnaires de l’Unedic arc-boutés sur leur logique purement comptable. Mais, au fait, Monsieur le Ministre, quel est vraiment aujourd’hui le montant du déficit du régime spécifique ? Combien d’intermittents sont réellement indemnisés tant les chiffres avancés par l’Unedic diffèrent de ceux fournis par les Congés-spectacle ? Pourquoi le fonds d’urgence que vous avez mis en place au printemps, remplit-il si marginalement sa fonction ? Qu’il s’agisse dans une moindre mesure, de la mission que vous avez confiée à Monsieur GUILLOT et dont vous aurez un premier aperçu ce soir surtout ou des trois expertises indépendantes menées en région, l’opacité sur les statistiques de l’assurance-chômage du spectacle vivant, du cinéma et de l’audiovisuel perdure de manière inadmissible. Il m’apparaît indispensable, Chers Collègues, que la Représentation nationale s’en mêle très directement tant ce manque persistant de transparence devient un vrai déni de démocratie.

Pour en revenir à votre budget, Monsieur le Ministre, si l’on dépasse l’affichage d’une augmentation globale de vos crédits, force est de constater que pour la seconde année consécutive, il ne s’agit que de rattrapage. La meilleure preuve en est que le montant des crédits de paiement annoncé pour 2005 sera exactement le même que celui de 2002. Dois-je rappeler le calamiteux hold-up que le gouvernement de Monsieur Raffarin avait opéré sur les crédits de paiement de la Culture en 2003 et que le groupe socialiste avait dénoncé ici même avec force ?

Le diagnostic sur les capacités d’initiative nouvelles dont bénéficiera le Ministère de la Culture l’année prochaine n’est guère plus flatteur puisque les autorisations de programme baisseront en valeur absolue de 15 millions d’euros, soit – 3 %.

En fait, la seule hausse véritable est celle des dépenses ordinaires mais elle est bien plus faible qu’en 2004 : + 2.6 %, au lieu de 4 %, à rapprocher d’une hausse prévisionnelle des prix retenue par le gouvernement pour 2005 de 1.8 %.

Comme on peut le constater, il n’y a pas eu d’arbitrage miraculeux, malgré la crise de l’emploi culturel déjà évoquée. Et les crédits de la Culture plafonneront en 2005 à 0,96 % du budget de l’Etat.

Si on vient maintenant aux priorités déclarées (le spectacle vivant, le patrimoine, l’éducation artistique), le moins que l’on puisse dire, c’est que le compte n’y est pas. De façon paradoxale, ce sont même les secteurs d’intervention à l’égard desquels les critiques de notre groupe sont les plus vives.

Ayant évoqué en préalable la crise de l’intermittence, je me contenterai dans l’actuelle situation d’attente, de m’étonner que le montant des crédits affectés au spectacle vivant n’augmente ainsi que de 1,6 %, donc moins que l’inflation. Douze millions d’euros supplémentaires, sur un total de 753 millions, c’est bien peu pour une direction qui couvre des besoins énormes en fonctionnement et en investissement, c’est surtout bien peu pour – je cite – « consolider l’emploi, élargir les publics et replacer l’artiste au cœur de la cité »… Désolé, Monsieur le Ministre de constater, à la lecture des chiffres, que « l’effort sans précédent » en faveur du spectacle vivant fait pschitt !…

Venons-en au patrimoine qui, sans forcer le trait, est aujourd’hui dans une situation catastrophique.

Les 10 millions d’euros d’autorisations de programme ne sont que le produit d’un redéploiement interne au sein de la Direction de l’architecture et du patrimoine. Quant aux 25 millions d’euros supplémentaires de crédits de paiement, ils sont totalement insuffisants pour compenser la disparition des crédits reportés à hauteur de 80 millions d’euros et le trou de 40 millions d’euros en crédits de paiement de 2004. En 2005, le Ministère connaîtra un déficit de paiement qui atteindra le chiffre colossal de 100 millions d’euros. Les conséquences en sont dramatiques pour les entreprises de restauration des monuments historiques qui pronostiquent une nouvelle baisse de leur activité, de l’ordre de 63 % l’année prochaine. Elles ont manifesté leur inquiétude place du Palais-Bourbon, mercredi dernier. J’ai rencontré leurs représentants qui m’ont confirmé l’arrêt de nombreux chantiers avec à la clé le licenciement économique de tailleurs de pierre, de couvreurs, de sculpteurs, de maîtres verriers au savoir faire ancestral donc inestimable.

En ce domaine tout particulièrement, comment ne pas critiquer la poursuite du désengagement de l’Etat que la loi relative aux responsabilités locales a amplifié et que la loi sur le mécénat ne saurait compenser.

Autre secteur sinistré – et le groupe socialiste a tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises : l’archéologie préventive. Avec des recettes en 2003 quatre fois inférieures à celles escomptées (20 millions d’euros au lieu de 80) et un budget sous-évalué pour 2004 du fait de ces rentrées insuffisantes, l’INRAP que vous avez financièrement déstabilisé, ne peut plus fonctionner, ni remplir ses missions correctement. Et c’est le Ministère de la Culture qui, par un prélèvement sur les dotations réservées à l’entretien des monuments historiques (on y revient…), a financé cette année le déficit d’exploitation de l’INRAP. Il en sera de même en 2005.

Les services régionaux de l’archéologie s’en trouvent fragilisés, des préfets annulent des arrêtés de fouilles, nombre de chantiers en cours sont stoppés.

Que dire enfin d’un secteur aussi central dans la démocratisation culturelle que l’éducation artistique et qui connaît un véritable dépérissement depuis deux ans. Votre dossier de conférence de presse budgétaire a beau, Monsieur le Ministre, évoquer un « investissement essentiel pour l’avenir de notre capacité de création », la réalité du terrain s’impose : les crédits sont en chute libre depuis 2003 et maintes classes à PAC sont moribondes. Pour l’année prochaine, un seul chiffre est avancé de manière elliptique : 39 millions d’euros, sans plus de détail. En 2003, il était déjà de 38 millions. Et en 2004 les crédits soit ont subi des annulations, soit ont servi de variable d’ajustement à des DRAC désargentées… En 2005, aucune mesure nouvelle n’est ainsi prévue au titre IV. Ajoutons qu’en ce domaine partagé avec le Ministère de l’Education nationale, le projet Fillon d’un retour aux « fondamentaux » dans les contenus de l’enseignement ne présage rien de bon pour l’éducation artistique. C’est d’ailleurs pour toutes ces raisons que le Président du groupe socialiste de notre Assemblée, Jean-Marc AYRAULT, vient de demander au Président de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales, la création d’une mission d’information sur la politique des pouvoirs publics dans le domaine de l’éducation et de la formation artistiques.

Le temps me manque pour évoquer le sort budgétaire réservé à d’autres domaines d’intervention qui, plus est, ne sont pas présentés comme « prioritaires ». J’aurais pu ainsi souligner combien les arts plastiques -faute de mesures nouvelles- sont négligés. 2005 sera une année de stagnation pour les écoles d’art, les FRAC, les centres d’art, les aides directes aux artistes… Il en va de même pour les acquisitions et la commande publique, car si 500.000 euros sont dégagés pour l’enrichissement des collections publiques des musées, rien n’est fait en faveur de l’art contemporain.

Le livre et la lecture ne sont pas mieux traités. Hormis une mesure nouvelle de 2,6 millions d’euros qu’impose la mise en œuvre de la loi sur le droit de prêt en bibliothèque, nombre de crédits stagnent qu’il s’agisse du soutien aux librairies (alors que la distribution du livre dans notre pays, déjà victime de la concentration du secteur de l’édition, connaît une grave crise), de l’allègement des frais de transport dans les DOM ou du soutien à l’exportation du livre français.

Que dire enfin de votre politique des musées et de la rationalisation budgétaire appliquée à la Réunion des musées nationaux qui conduit inévitablement à son déficit structurel et surtout à une véritable interrogation sur le champ futur de ses missions et sur le devenir de ses personnels. Une nécessaire clarification s’impose à brève échéance.

Sans remettre en cause l’effort budgétaire réel dont bénéficient les grandes institutions culturelles (je ne m’offrirai pas cette facilité…) et tout en reconnaissant, par exemple, la pertinence de l’extension à la production audiovisuelle du crédit d’impôt déjà accordé à la production cinématographique afin – notamment – de relocaliser en France les dépenses de tournage et de post-production, comment partager, Monsieur le Ministre, votre auto-satisfaction.

Car la vérité des chiffres s’impose et amène le groupe socialiste à lancer un véritable cri d’alerte: pour la première fois depuis la création du Ministère de la Culture, des secteurs entiers de son action sont aujourd’hui en danger.