Projet de loi relatif au mécenat et aux fondations

1er avril 2003

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Chers Collègues,

Le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui trouve naturellement sa place parmi les initiatives prises depuis quelques décennies et surtout depuis vingt ans, pour développer le soutien matériel à l’exercice d’activités présentant un intérêt général dans des domaines divers qui sont principalement la culture, la solidarité et l’environnement.

Après la loi de 1987 sur le développement du mécénat, celle de 1990 créant les fondations d’entreprise ou encore celle de 1991 instituant un contrôle de la Cour des Comptes sur les organismes faisant appel à la générosité publique dans le cadre d’une campagne nationale, le texte que vous nous proposez, Monsieur le Ministre, vise finalement à faire bouger un cadre juridique et fiscal déjà existant, à l’instar de ce qu’ont entrepris ou font nos voisins européens.

Au delà de l’annonce du plan gouvernemental présenté à la fin de l’année dernière, il est – en effet – difficile de parler de texte fondateur tant il s’inscrit plus dans une continuité que dans une rupture. Et c’est à ce titre que le groupe socialiste juge favorablement l’amélioration sensible des avantages fiscaux visant à encourager le mécénat des particuliers comme celui des entreprises.

De fait, les cinq articles modifiant principalement les articles 200 et 238 bis du code général des impôts constituent plus une évolution qu’une révolution. La Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales de notre Assemblée ne s’y est d’ailleurs pas trompée, en ne se saisissant pas pour avis de ce projet de loi.

En disant cela, j’ai conscience de contrarier notre rapporteur qui, sans doute emporté par son enthousiasme majoritaire, a trouvé dans ce texte (je le cite) des « mécanismes fiscaux audacieux » et « des avantages considérables » permettant « de passer d’une culture de suspicion à l’égard des fondations et du monde associatif à une culture de confiance ». De telles affirmations qui l’honorent quant à l’intensité de son soutien à l’action gouvernementale, n’ont cependant pas dépassé le stade de l’introduction au rapport par ailleurs fort intéressant qu’il nous a proposé.

A condition qu’on nous épargne les habituelles comparaisons statistiques avec un pays, les Etats-Unis, où le rôle joué par la puissance publique dans les domaines culturel, social, humanitaire ou encore scientifique n’a pas de rapport avec celui – séculaire – qu’il remplit dans notre pays, nous pouvons nous retrouver dans une commune volonté de rattraper un certain retard français que révèlent la stabilité – ces dernières années – des dons faits par les particuliers, le fait que 14 % des foyers fiscaux seulement y concourent, le faible nombre d’entreprises mécènes ou de fondations et, bien entendu, un montant global du mécénat qui n’atteint que 0,09 % du produit intérieur brut.

Au regard de ce constat et avec l’éclairage que nous apportent les travaux du Conseil d’Etat, ce projet de loi n’aurait-il pas dû avoir l’ambition de proposer des mesures plus incitatives et novatrices afin de créer un contexte national plus favorable au développement du mécénat ?

Ainsi, pour les entreprises, on aurait pu profiter de ce texte pour clarifier les règles sur l’objet social, l’incertitude juridique étant un frein évident. De la même manière, il aurait été souhaitable de préciser, pour les actions intégrées dans du mécénat, les obligations en termes de qualité ou de soutien à des actions légitimes.

Si notre Assemblée n’avait pas été amenée à examiner ce projet dans la précipitation puisqu’il a été adopté par le Conseil des Ministres il y a moins de quatre semaines et que nous n’aurons qu’au mois de mai les actes du colloque qui s’est récemment tenu, nous aurions pu ainsi réfléchir à la possibilité, en cas de fusions donc de cessions d’actifs, de faire bénéficier une partie des plus-values d’une franchise impôt. Créer une fondation, c’est, en effet, pour une entreprise se défaire définitivement d’une partie de son patrimoine, la loi de 1987 précisant le caractère « irrévocable » de l’affection « de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif ».

Visiblement, nous ne retrouvons pas ici l’audace dont la loi  » Musées  » avait fait preuve quant aux dispositions visant à l’acquisition des trésors nationaux, mais il est vrai que l’Etat en est le principal bénéficiaire.

Pour les particuliers, c’est la même chose. S’il n’y a pas un réseau crédible d’opérateurs reconnus disposant des dons et capables pour cela de développer des actions d’envergure, ne risque-t-on pas d’en rester au coup de pouce fiscal qui sera surtout apprécié de ceux pour qui on vient d’aménager complaisamment l’ISF ?

Se trouve ainsi posée la question fondamentale du contrôle. Au regard du précédent de l’ARC et plus récemment de la SPA, les précautions à prendre ne sont, en effet, pas inutiles. Créer la confiance est déterminant pour qui veut inciter efficacement nos concitoyens à amplifier leurs versements.

En 2000, le Conseil d’Etat nous a alertés sur la difficulté que rencontre l’administration pour contrôler – et, si nécessaire, sanctionner – les associations reconnues d’utilité publique.

Aussi notre rapporteur nous propose-t-il de limiter à 30 ans la durée de la validité de la reconnaissance d’utilité publique et de mettre en place un système déclaratif ne portant pas atteinte au principe fondamental de la liberté d’association.

Nous soutenons naturellement sa démarche, en nous interrogeant cependant sur le caractère suffisant de ces dispositions à l’égard des revendications fortes de nos concitoyens en matière de transparence. Ne fallait-il pas ainsi profiter de ce projet de loi pour renforcer et élargir le contrôle institué par la loi de 1991 ?

Une autre piste de réflexion est celle des rapports entre le mécénat, soutien matériel apporté sans contrepartie directe, et le parrainage qui lui vise pour le donateur à retirer un bénéfice de son soutien.

Notre rapporteur note, à ce propos, (je le cite) qu’ « une très grande majorité d’entreprises continue à utiliser le parrainage de préférence au mécénat, pour des raisons fiscales. Le régime du parrainage est, en effet, plus avantageux car il n’est pas plafonné par rapport au chiffre d’affaires, et permet des contreparties proportionnelles à la dépense. »

Il y a de fait cette frontière entre mécénat et parrainage, dont il est nécessaire de veiller à ce qu’elle soit le moins souvent franchie, particulièrement dans le domaine artistique.

Car, pour l’intervention culturelle remarquée d’un Pierre Bergé, co-finançant un Bouddha géant sur le parvis du Centre Georges-Pompidou en protestation à la destruction des statues originales d’Afghanistan, combien de « récupérations » privées mégalomanes, de réclames d’entreprise plus visibles que les tableaux, de vernissages prétextes à transformer les œuvres en supports de « culture pub » et combien de monuments nationaux fardés en show rooms commerciaux.

L’occupation de la Cour Carrée du Louvre par une grande enseigne de distribution a provoqué de légitimes protestations, le fait que la rénovation de la Galerie des Glaces du Château de Versailles soit directement assurée par les filiales spécialisées de l’entreprise mécène laisse pour le moins perplexe. Puisque vous allez être amené régulièrement, Monsieur le Ministre, à décerner la médaille de « Grand mécène », nous comptons sur vous pour le faire avec discernement.

Il n’est sans doute que temps, dans le cours de cette intervention, d’exprimer avec force combien pour le groupe socialiste, le mécénat ne vaut qu’adossé à une politique publique dynamique.

De fait, c’est moins l’intention que vous exprimez, Monsieur le Ministre, en nous proposant ce projet de loi qui nous préoccupe que le moment même où nous en débattons, celui d’un repli budgétaire généralisé qui a touché vos crédits dès l’adoption de la loi de finances initiale pour 2003 et qui vient de conduire à l’annulation par décret de la moitié des crédits supplémentaires votés pour cette année dans le budget de l’Etat.

Puisque le budget craque, pourquoi ne pas faire appel au privé ?

Tel pourrait être après tout le raisonnement de votre gouvernement pour de nombreux secteurs d’intervention traditionnelle de la puissance publique, comme celui aujourd’hui sinistré de la recherche.

Une personnalité aussi autorisée que Jacques RIGAUD à qui le développement du mécénat dans notre pays doit tant depuis plus de deux décennies, considère pourtant que le mécénat doit rester un mode de financement marginal et surtout n’est pas là pour assurer les fins de mois d’un Etat nécessiteux.

N’oublions pas ainsi qu’au début des années 80, dans le domaine culturel, la dynamisation du mécénat a été provoquée par le doublement des crédits dont a alors disposé Jack LANG.

L’encouragement souhaitable du mécénat, qu’il soit celui des particuliers ou celui des entreprises, ne signifie donc pas de sonner la retraite de l’Etat et des collectivités locales, d’engager le recentrage vers leurs seules missions de subventionnement. Les mécènes ne rempliront leurs fonctions et les avantages fiscaux, que nous améliorons aujourd’hui, apparaîtront d’autant plus justifiés et légitimes que si leurs investissements rencontrent une politique publique et sont le résultat d’un dialogue avec les acteurs en charge de l’intérêt général.

C’est cette approche de fond qu’il aurait fallu également privilégier pour donner une autre ambition à ce texte qui risque de n’être qu’un cache-misère.

Discussion générale – 16 juillet 2003 (2ème séance)

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour le groupe socialiste.

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous retrouvons donc à débattre, en deuxième lecture, de ce projet de loi relatif au mécénat et aux fondations, et sans doute cette seconde lecture est-elle éclairée, d’une manière encore plus crue que la première, par le contexte de discussions, de débats, de remises en cause et, surtout, d’interrogations concernant la politique culturelle du Gouvernement.

D’une certaine façon, le plus grand regret qu’on peut avoir, c’est le manque d’ambition de votre texte, au moment même où, avec le mouvement des intermittents et l’annulation d’un certain nombre de festivals d’été, la situation de crise que nous avons vécue nous aurait sans doute permis d’avoir, à l’occasion du débat sur ce texte, une vraie grande discussion, dans cette enceinte, sur les objectifs de refondation qui pourraient être ceux d’une politique culturelle qui prenne réellement en compte les enjeux d’aujourd’hui.

Au lieu de quoi nous en sommes réduits – et le groupe socialiste en est réellement désolé – à débattre d’un texte qui n’est que fiscal, au point que la commission des affaires culturelles, familliales et sociales de notre assemblée n’a d’ailleurs même pas jugé utile de s’en saisir pour avis. Nous sommes en train de modifier – à la marge, avouons-le – le code général des impôts, montrant bien ainsi la limite imposée, dès le départ, à l’action du législateur. C’est d’autant plus vrai qu’il s’agit avant tout de faire bouger un cadre législatif et fiscal déjà existant, qui permet de soutenir l’exercice d’activités présentant un intérêt général dans des domaines divers, au premier rang desquels la culture et la solidarité, même si le terme de mécénat évoque avant tout la culture – c’est d’ailleurs vous, monsieur le ministre de la culture, qui représentez aujourd’hui le Gouvernement.

Un certain nombre de textes de référence existent déjà, donc, dans ce domaine : la loi de 1987 sur le développement du mécénat, celle de 1990 créant les fondations d’entreprise, ou encore celle de 1991 instituant un contrôle de la Cour des comptes sur les organismes faisant appel à la générosité publique dans le cadre d’une campagne nationale.

Nous avons donc eu une discussion sur l’évolution de ce cadre juridique et fiscal existant, la discussion en seconde lecture ressemblant d’ailleurs beaucoup à celle que nous avions eue en première lecture.

Des ajustements successifs sont apportés, des dispositions fiscales sont précisées, quitte d’ailleurs à ce que la discussion rompe l’équilibre du texte tel qu’il nous avait été présenté par le Gouvernement. Je m’étais un peu moqué, lors de la première lecture, de cette capacité, au détour d’un amendement, de porter de 30 000 à 40 000 euros le montant du plafond de l’abattement, nous donnant ainsi à craindre que ce texte se résume, quelque part, à de simples coups de pouce fiscaux, comme la majorité parlementaire nous en donne régulièrement l’illustration, sinon l’habitude.

Si je parle de déséquilibre, c’est que, d’un côté, on passe de 30 000 à 40 000 euros alors que, de l’autre côté, peut-être par souci de simplification, pour faire référence à ce que nous disait M. Hénart tout à l’heure – et la deuxième lecture, malheureusement, n’a pas permis de bouger sur ce point -, on supprime les dispositions spécifiques de ce qu’on appelle communément l’amendement Coluche. On a même entendu dire en commission que l’amendement Coluche était une niche fiscale et qu’il fallait la supprimer en tant que telle. Beau paradoxe quand on sait que les discussions fiscales ici, à l’Assemblée nationale, depuis plus d’un an, visent plutôt à multiplier les niches fiscales, et dans de telles proportions que le code général des impôts risque de ressembler de plus en plus à un chenil!

Par ailleurs, nous restons toujours très perplexes sur le refus qui nous a été opposé en première lecture – mais il y a aujoud’hui une corde de rappel que, j’en suis certain, le Gouvernement et le rapporteur sauront saisir – d’instituer de manière claire un crédit d’impôt, qui est un élément de dynamisation extrêmement fort du mécénat dans notre pays. Parce que là, nous parlons de dispositions fiscales qui intéressent bien entendu le mécénat d’entreprise, mais qui, en ce qui concerne le mécénat des particuliers, visent uniquement ceux de nos concitoyens qui sont soumis à l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire la moitié des ménages. Il n’y a aucune disposition fiscale – c’est la raison pour laquelle nous retenons, quant à nous, le crédit d’impôt – qui vise cette moitié des ménages non soumis à l’impôt sur le revenu.

De la même façon, nous aurions pu profiter de ce texte pour apporter des éléments de clarification, notamment sur l’objet social, et peut-être aussi pour définir plus clairement la frontière entre le mécénat et le parrainage, afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur le désintéressement des entreprises qui veulent soutenir un certain nombre d’initiatives ou d’actions, notamment dans le domaine culturel.

Nous le répétons avec force, avec encore plus de force en cette deuxième lecture et compte tenu de l’actualité : pour nous, le mécénat ne vaut que s’il est adossé à une politique publique dynamique. Jack Lang lui-même, qui a su trouver les moyens de favoriser le financement privé de la culture dans notre pays, n’a pu le faire et n’a pu faire adopter des dispositions qui ont porté tous leurs fruits que parce que, parallèlement, il bénéficiait du doublement de ses crédits budgétaires.

De ce fait, ce qui nous gêne surtout, ce sont moins les dispositions fiscales, et uniquement fiscales, que comporte votre texte que le contexte dans lequel il est présenté et débattu, contexte qui a eu plutôt tendance à s’aggraver depuis notre première lecture. Nous regrettons, nous dénonçons, et j’aurais préféré ne pas avoir à le redire à cette tribune, ce contexte actuel de retrait de l’intervention de l’Etat, tout particulièrement dans le domaine culturel, mais aussi dans le domaine social. Je ne vais pas engager à nouveau avec vous, monsieur le ministre, un dialogue sur vos marges de manoeuvre budgétaires, mais je vous indique que M. Migaud a évalué – et vous connaissez ses compétences comme ancien rapporteur général du budget – à plus de 200 millions d’euros les crédits qui étaient consacrés à votre budget et qui ont été gelés ou annulés.

Ce retrait de l’intervention de l’Etat, de la puissance publique dans le domaine culturel nous soucie. Le hasard de notre calendrier parlementaire veut que nous enchaînions la deuxième lecture du projet de loi sur le mécénat après l’examen du texte de la CMP sur l’archéologie préventive.

De fait, beaucoup d’interrogations naissent de l’examen de ce texte. De notre point de vue, n’a pas été créée – est-ce volontaire, est-ce un manque d’ambition ? – la confiance à l’égard des particuliers comme des entreprises, si importante en ce domaine si on veut vraiment créer une dynamique afin que de l’argent privé finance des actions d’intérêt général.

Et nous aurions pu, sans doute définir collectivement et de manière plus approfondie – nous avions proposé à cet effet des dispositions qui n’ont malheureusement pas été retenues – des mesures tendant à un contrôle plus étroit, susceptibles de répondre à l’exigence d’éthique et de transparence régulièrement exprimée par nos concitoyens.

Pour resituer notre discussion dans un cadre plus global, au moment, monsieur le ministre, où votre budget craque, nous sentons quelque part votre tentation, sans doute légitime de votre point de vue, mais que nous ne pouvons accepter, d’interpeller les collectivités territoriales. Celles-ci contribuent pourtant déjà fortement au financement de la culture dans notre pays. Elles assurent, vous le savez, un financement deux fois supérieur à celui de l’Etat dans le domaine culturel. Il y a donc cette tentation de décentralisation et d’interpellation des collectivités territoriales, visant à ce qu’elles se substituent à l’intervention de l’Etat dans un certain nombre de domaines. C’est une décentralisation dont nous aimerions connaître les contours, tant il semble qu’elle vise à démembrer l’Etat sans véritable vision d’ensemble.

Et puis, il y a cette tentation du mécénat, qui consiste à se dire que le financement privé permettra de compenser le moindre financement public. Dois-je vous rappeler, pourtant, que Jacques Rigaud lui-même, référence pour nous en matière d’élaboration d’une politique de mécénat dans un pays qui n’en avait pas l’habitude il y a encore vingt-cinq ans, considère que le mécénat ne peut que rester un mode de financement marginal et qu’il n’est pas là pour assurer les fins de mois d’un Etat nécessiteux.

Et c’est sans doute parce qu’aujourd’hui, dans le domaine culturel, l’Etat nous apparaît bien nécessiteux que le groupe socialiste sera amené à s’abstenir, comme en première lecture, sur ce texte.

DISCUSSION DES ARTICLES

Article 1er
Amendement n° 30 de M. Bloche : MM. Patrick Bloche, Charles de Courson, rapporteur suppléant; le ministre. – Rejet.

Amendement n° 31 de M. Bloche : MM. Patrick Bloche, le rapporteur suppléant, le ministre. – Rejet.

Article 2
Amendement n° 32 de M. Bloche : MM. Patrick Bloche, le rapporteur suppléant, le ministre. – Rejet.

Après l’article 13
Amendement n° 12 de la commission : MM. le rapporteur suppléant, le ministre, Patrick Bloche. – Adoption.