Protection des mineurs contre la violence et la pornographie

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment ne pas avouer une réelle perplexité devant une proposition de loi déposée et débattue dans la précipitation, sans qu’ait eu lieu préalablement le large débat qu’auraient nécessité des questions aussi complexes ?

A entendre certains, les tenants de la liberté d’expression et de création auraient échappé au pire, à savoir l’interdiction pure et simple de la diffusion à la télévision de programmes et des scènes de pornographie ou de violence gratuite. Votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, serait ainsi un moindre mal, après les offensives successives du ministre de la famille, du président du CSA, de M. de Courson, enfin de Mme Boutin et d’une centaine de ses collègues de l’UMP.

Une mention particulière peut d’ailleurs être décernée à M. Baudis, si peu pressé d’appliquer la loi lorsqu’il s’agit de sanctionner des propos dégradants, insultants ou discriminatoires tenus à la radio ou à la télévision à l’encontre de certaines catégories de la population, et pourtant si prompt à jouer les pères « la pudeur », quitte à se faire désavouer par Mme Reding lorsqu’il accuse à tort le législateur de ne pas avoir véritablement transposé l’article 22 de la directive « télévision sans frontières ». Je m’étonne d’ailleurs, compte tenu des principes républicains qui régissent le fonctionnement de nos institutions, que le président d’une autorité administrative prétende de la sorte tenir la main de celles et ceux qui font la loi, dépositaires de la légitimité la plus forte qui soit en démocratie, celle conférée par le suffrage universel.


M. Richard Mallié. M. Baudis l’a eue avant vous !

M. Patrick Bloche. De fait, monsieur le rapporteur, nous sommes conduits à nous poser la seule question qui vaille : quelle est l’utilité d’inscrire dans la loi le double cryptage que vous nous proposez, alors que cette solution technique, efficace avant tout sur le numérique, est d’ores et déjà acceptée et même proposée par les diffuseurs concernés, Canal + en tête ?

Curieuse façon de vouloir à tout prix légiférer pour rien, puisque ce qui devrait apparaître comme une contrainte fait actuellement l’objet d’un large consensus chez des professionnels qui ont pris l’initiative sans vous attendre. Mais voilà, monsieur le rapporteur, vous avez, avec vos deux collègues, ouvert la boîte de Pandore, et les apprentis censeurs qui vous cernent et qui, au passage, sont d’ailleurs beaucoup plus obsessionnels sur la pornographie que sur la violence, se sont engouffrés dans la brèche.

Ainsi, depuis l’examen en commission, votre proposition de loi comporte un article 2 qui l’aggrave car, de l’initiative catégorie père fouettard, on passe à une offensive concertée pour mettre en place une censure d’Etat à l’encontre de la création cinématographique. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle.)

M. Jean-Marc Nudant. Scandaleux !

M. Yves Bur, rapporteur. Excessif !

M. Patrick Bloche. J’évoque à dessein une offensive concertée, tant les déclarations du ministre délégué à la famille, hier, ont été éclairantes, avec l’annonce de son décret dans les quatre mois. La journaliste qui l’interrogeait a d’ailleurs dit qu’il profitait de la vague pour forcer les portes de la commission de classification des films, commission dans laquelle, rappelons-le, siègent déjà des représentants des associations familiales.

M. Dominique Richard. Un seul !

M. Patrick Bloche. Plus préoccupante encore est la détermination de M. Jacob à faire sauter ce qu’il considère visiblement comme un verrou, à savoir la minorité de blocage dont disposent, au sein de la commission, les réalisateurs et les producteurs pour s’opposer à l’interdiction de certains films aux moins de dix-huit ans.

M. Yves Bur, rapporteur. C’est tellement rare !

M. Patrick Bloche. Après le coup de semonce qu’a constitué la publication du rapport hors sujet de la commission Kriegel, on peut finalement se demander si la télévision n’est pas un prétexte et si ce n’est pas le cinéma qui est visé par cette agression caractérisée d’un lobby familialiste bien identifié au sein de notre hémicycle et au-delà. Si notre collègue M. Brard était là, il y verrait sans doute une nouvelle fois la main de l’Opus Dei. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle.)

M. Jean-Pierre Grand. Lamentable !

Mme Henriette Martinez. N’importe quoi !

M. Dominique Richard. On a les obsessions qu’on peut !

M. Patrick Bloche. Je ne fais qu’évoquer des propos de M. Brard.

M. François Goulard. Et pourquoi pas l’Ancien Régime ?

M. le président. Poursuivez, monsieur Bloche.

M. Patrick Bloche. Ce qui est plus qu’une impression ne peut être que renforcé par le fait que l’interdiction des programmes violents et pornographiques entre sept heures et vingt-deux heures trente à la télévision est effective depuis plus de treize ans et que, par ailleurs, les films de cinéma représentent 3 % du temps de la programmation des chaînes de télévision hertzienne en clair. Visiblement, le ministre délégué à la famille ne souhaite pas s’arrêter à l’introduction du visa conjoint, véritable épée de Damoclès menaçant la liberté de création cinématographique dans notre pays.

On vise aussi Internet invariablement associé à la pédophilie. De grâce, s’il faut naturellement lutter contre ce fléau en développant des moyens de filtrage efficaces, ne cédons pas au fantasme qui voudrait que le réseau des réseaux soit un espace échappant à toute réglementation. Tout particulièrement depuis la loi du 1er août 2000, les prestataires techniques sont responsables, sous l’autorité du juge, des contenus qu’ils hébergent.

M. le président. Je vous remercie de conclure.

M. Patrick Bloche. A ce rythme – et je conclus, monsieur le président – on peut craindre que, avec M. Jacob, avant la fin de la législature nos enfants ne puissent plus lire Titeuf qui est pourtant actuellement l’une de leurs BD préférées parce que les sujets abordés pourraient vite apparaître comme subversifs pour certains membres de la majorité.

M. Dominique Richard. Caricature !

M. Patrick Bloche. Mes chers collègues, nous aurions pu, ce matin, avoir un vrai débat de société. Nous aurions pu ainsi intégrer dans nos échanges les propositions très concrètes contenues dans le rapport du collectif interassociatif enfance-médias qui fait d’ailleurs régulièrement l’objet d’un véritable détournement. Nous aurions pu débattre sur la corégulation de l’environnement médiatique, sur la coresponsabilité des professionnels avec les parents, les éducateurs et les partenaires sociaux, sur l’éducation aux médias, à l’image et à l’information dès le plus jeune âge, sur une politique audacieuse de la jeunesse dans les médias, en particulier ceux du service public.


Au lieu de cela, par des initiatives intempestives et parce que votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, est finalement inutile, vous nous amenez à nous demander tout simplement si, dans cet hémicycle, l’ordre moral n’est pas de retour. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle.)


M. Michel Herbillon. Ce qui est excessif est insignifiant !


M. Patrick Bloche. Vous l’avez déjà dit quand je suis intervenu sur le budget de la culture !

M. Michel Herbillon. C’est une constante !

M. Patrick Bloche. Une constante de vos interpellations !