Budget de la Culture
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,
Monsieur le Ministre, vous êtes sans aucun doute un homme de bonne volonté, ne serait-ce que parce que – depuis six mois – vous n’avez remis radicalement en cause aucune des directions prises par vos prédécesseurs.
Mais, dès l’examen de votre premier budget, que pouvez-vous vraiment faire avec moins de 1% du budget de l’Etat dans un contexte politique qui renchérit le coût de la culture en fragilisant l’intermittence du spectacle, qui supprime les emplois jeunes sans en évaluer les conséquences graves sur l’ensemble des secteurs culturels, éducatifs, sociaux et ce qui les lie entre eux, et qui s’apprête à décentraliser l’Etat par appartement, sans véritable vision d’ensemble. Votre Ministère aurait pu au moins être le paravent culturel du gouvernement et il semble déjà dépecé !
En s’établissant à 0,91 % du budget de l’Etat alors qu’il avait atteint 1 % dans la loi de finances initiale pour 2002, votre budget, Monsieur le Ministre, est le plus durement pénalisé avec une baisse de 5,2 % de ses crédits. Par ailleurs, plus de 150 emplois y sont supprimés, ce qui fait du Ministère de la Culture, l’administration proportionnellement la plus touchée.
La promesse électorale du Président de la République de « sanctuariser » le budget de la culture a donc volé en éclats dès le premier exercice budgétaire du quinquennat. Seuls les naïfs s’en étonneront aujourd’hui.
Ayant perdu l’arbitrage sur vos crédits, vous avez voulu sauver la face – ce qui est humain – par une pirouette budgétaire qui ne trompera personne. Malgré une bruyante communication sur un budget « vérité », Bercy vous a bel et bien privé de crédits d’investissement destinés à la restauration du patrimoine public comme privé, mais aussi à l’action culturelle puisque ces crédits étaient également consacrés à l’équipement de nombre d’établissements.
Six mois après votre arrivée rue de Valois, vous voilà, Monsieur le Ministre, privé de toute marge de manœuvre alors même que nombre de crédits culturels du présent exercice ont d’ores et déjà été gelés en attendant leur probable annulation.
Si par la mécanique dite du recyclage, vous pouvez, en cet automne, vous présenter devant le Parlement avec certains crédits d’intervention en augmentation, il est à craindre que la fourmi devenue cigale, ne soit bien dépourvue quand la bise sera venue, c’est à dire lors de la régulation budgétaire annoncée pour début de l’année prochaine. Que dire des arbitrages à venir et notamment de celui pour 2004 que vous aborderez, sans le bénéfice actuel de crédits non encore consommés. Le terme de budget « vérité » que vous avez prématurément utilisé cette année, risque alors de prendre son vrai sens.
Nous sommes donc loin du 1 %, slogan mobilisateur lancé par les acteurs de la décentralisation et de la démocratisation culturelle, qui a correspondu à un combat patient et pédagogique pour prouver que la culture avait toute sa place au sein des politiques publiques, qu’elle avait droit de cité.
Affichage, disent vos amis politiques aujourd’hui. Loin de moi, vous le savez, l’idée de sacraliser le 1 %. Il est simplement un indicateur sur la place consacrée à la politique culturelle par les gouvernements successifs. Ceux qui s’en sont éloignés, plutôt de droite, et ceux qui s’en sont rapprochés, jusqu’à l’atteindre, plutôt de gauche.
Ainsi, à structure constante de 1993, le budget de la culture a perdu 10,7 % sous les gouvernements Balladur puis Juppé, de 1993 à 1997, alors qu’il a gagné 16,5 % sous le gouvernement Jospin de 1997 à 2002.
Tout aussi significatif et plus grave encore et l’effondrement des crédits consacrés à l’enseignement artistique qui sont amputés de plus d’un tiers. La remise d’un rapport d’évaluation à la fin de l’année aurait dû logiquement conduire au maintien pour 2003 de l’effort budgétaire en direction, notamment, des classes à « projet artistique et culturel ». Il n’en est rien et c’est la place même de l’artiste au sein du système scolaire qui se trouve fondamentalement contestée.
L’éducation artistique sans les artistes et sans liens avec la vie culturelle locale, des associations et des collectivités territoriales démobilisées, le solfège contre
le rap alors qu’il faudrait et le solfège et le rap : telles sont les conséquences de l’abandon du plan TASCA-LANG, plan signé en 2000 pour cinq ans.
De fait, Monsieur le Ministre, pour pallier au désengagement budgétaire de l’Etat dans la vie culturelle de notre pays, vous êtes amené à évoquer fréquemment le rôle du mécénat et celui des collectivités locales.
L’encouragement souhaitable du mécénat ne signifie cependant pas, à nos yeux, qu’il faille parallèlement sonner la retraite de la puissance publique et la recentrer sur ses seules missions de subventionnement. Les mécènes ne rempliront leurs fonctions culturelles et les avantages fiscaux, qui leur sont déjà consentis et qui pourraient être améliorés, apparaîtront d’autant plus justifiés et légitimes, que si leurs investissements rencontrent une politique publique dynamique et sont le résultat d’un dialogue avec les acteurs culturels en charge de l’intérêt général.
Quant à la décentralisation, nous pourrions nous retrouver sur ce vaste mouvement qui a été initié par la gauche depuis vingt ans et qui peut être la source d’une nouvelle étape de la politique culturelle de notre pays. La culture qui, grâce à la décentralisation théâtrale, a été pionnière dans cette évolution, peut encore une fois être à la pointe en ce domaine. Après tout, accompagnant le mouvement, votre ministère avait, avant votre arrivée, déjà déconcentré vers ses DRAC, 80 % de ses crédits d’intervention.
Et pourtant, la méthode choisie par le Premier ministre, le flou persistant sur ses intentions réelles, le risque évident d’explosion de la fiscalité locale si les crédits d’Etat correspondant aux compétences nouvelles des collectivités locales ne sont pas transférés, nourrissent notre inquiétude. Que d’interrogations ainsi sur la décentralisation Raffarin dans le domaine culturel qui, au stade actuel, nie l’échelon communal ou intercommunal, échelon qui est aujourd’hui pourtant le
plus pertinent. Qu’adviendra-t-il des protocoles de décentralisation que Catherine Tasca et Michel Duffour ont mis en œuvre et qui montrent, de façon mesurée, raisonnée, concertée, la voie qu’il convient de prendre ? Quels mécanismes, à inventer en concertation avec les collectivités, pour assurer l’égalité des chances culturelles de tous, sur tout le territoire, et pour rassurer les acteurs culturels qui voient parfois avec inquiétude le pouvoir local prendre le pouvoir sur les politiques culturelles ? Comment enfin conforter les agents de l’Etat engagés dans ces processus de décentralisation qui doivent aussi garantir l’intégrité et la cohésion de la Nation ?
Autant de questions qui sont aujourd’hui sans réponse.
De la même façon, votre décentralisation s’offre de plus en plus régulièrement la facilité d’opposer Paris et sa Région au reste du territoire national. Le débat n’est pas nouveau et si les Parisiens bénéficient naturellement de l’effort de l’Etat en faveur des grandes institutions culturelles de la Capitale, ils n’en constituent pas, loin s’en faut, vous le savez, le public exclusif.
Je pensais que vos fonctions passées vous rendraient prudent sur ce thème, tant on est vite conduit à défendre des positions paradoxales. J’en veux pour preuve récente votre interview au « Moniteur » ou vous dites souhaiter « mettre fin au » surengagement « de l’Etat sur la métropole parisienne », tout en affirmant – deux questions plus loin – que « la Cité de l’architecture et du patrimoine sera à Paris, mais qu’elle ne sera pas parisienne » !
De fait, de votre récente communication sur les projets immobiliers parisiens de votre ministère dont je ne conteste d’ailleurs pas la légitimité, on retiendra surtout que la promesse faite par le Président de la République, en avril dernier lors de la campagne électorale, de réaliser une salle philharmonique à la Villette, ne sera pas tenue. L’inquiétude des musiciens de l’Orchestre de Paris, formation créée à l’initiative d’André MALRAUX il y a 35 ans, n’en est ainsi que plus compréhensible.
Au moment de conclure, je souhaiterais revenir un instant sur le doublement des cotisations chômage des intermittents du spectacle et de leurs employeurs que j’évoquais au début de mon intervention, tant l’accord imposé dans la précipitation et sans concertation par le MEDEF a constitué un mauvais coup porté, au cœur de l’été, au spectacle vivant. Nombre d’entreprises et d’associations culturelles, à qui on annonçait au même moment la fin programmée des emplois-jeunes, se posent aujourd’hui la question de leur survie financière.
Comment ne pas regretter, comme nous l’avons déjà fait à cette tribune à la fin du mois de juillet dernier, que votre gouvernement Monsieur le Ministre ait donné aussi légèrement et rapidement son agrément à cet avenant aux annexes 8 et 10 après avoir obtenu le feu vert législatif de la majorité parlementaire.
Parce que la culture n’est pas la priorité du gouvernement auquel vous appartenez,
Parce que votre budget ne permet pas de retisser les liens indispensables entre l’éducation, la culture et la jeunesse,
Parce que votre budget ne permet pas de moderniser et de renforcer les instruments opportuns pour conserver et développer des industries culturelles de qualité indépendantes et prospères,
Parce que votre budget ne permet pas d’élaborer, avec les collectivités, un plan audacieux d’équipements culturels divers et innovants, dotés de moyens de fonctionnement adaptés,
Pour toutes ces raisons le groupe socialiste votera contre les crédits de la culture pour 2003. C’est sans doute le meilleur service que nous puissions votre rendre, Monsieur le Ministre, en de début de législature.