Projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi

1) 2ème SÉANCE DU MERCREDI 2 OCTOBRE 2002 – Expliquation de vote sur une question préalable

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche pour le groupe socialiste.


M. Patrick Bloche. Je souhaiterais dans mon intervention pour expliquer le vote du groupe socialiste sur la question préalable que notre collègue Gaëtan Gorce a si brillamment défendue relever deux contradictions.


La première porte sur les effets de votre texte sur le temps de travail des salariés car bien plus qu’un assouplissement – et les propos que vous avez vous-même tenus monsieur le ministre dans cet hémicycle depuis le début de l’après-midi en témoignent – vous nous proposez en fait un sérieux recul du rôle protecteur de la puissance publique.


La seconde contradiction consiste à faire croire que l’on veut redonner du souffle à notre économie alors même que l’on fige des situations existantes et qu’on favorise une dualité des salariés comme des entreprises. Le projet de loi que vous nous présentez enlève en effet toute portée réelle aux 35 heures puisque la différence à l’arrivée entre une heure de travail et une heure supplémentaire devient – c’est le moins que l’on puisse dire – ténue. Vous touchez au volume et à la rémunération des heures supplémentaires comme s’il s’agissait d’une équation mathématique abstraite et il me paraît nécessaire de rappeler que la conséquence directe de votre texte pour les salariés sera – et nous insistons sur ce point – de travailler plus pour en fait gagner moins.


Au total que voit-on ? Régression sociale inégalité entre les salariés recul du rôle protecteur de l’Etat ! Il faut bien constater que votre fil conducteur – c’est-à-dire vider la loi de manière systématique – revient en fait à supprimer des protections dont l’Etat était le garant.
Un autre reproche doit vous être fait que votre précipitation explique sans doute : c’est l’absence d’anticipation sur les conséquences mêmes de ce que vous proposez car revenir sur l’organisation des 35 heures – cette savante architecture qui est née du dialogue social – c’est revenir sur trois fondements importants d’une politique cohérente. Jean Le Garrec et Gaëtan Gorce ont été prolixes et convaincants sur ce sujet. Le premier de ces fondements sont les droits sociaux ; le deuxième une avancée sociale que vous passez sous silence à savoir le temps libéré par les 35 heures phénomène profond de société dans un pays comme la France ; et le troisième la politique de l’emploi et le pouvoir d’achat.


Je me dois à nouveau à l’occasion de cette explication de vote d’insister pour rétablir des vérités qui visiblement vous dérangent en rappelant quelques chiffres.


Ceux-ci parlent d’eux-mêmes puisqu’ils établissent des comparaisons entre les évolutions constatées sur les cinq dernières années et celles qui l’ont été sous votre responsabilité c’est-à-dire pendant la période 1993-1997 : le salaire net par tête a augmenté de 7 % durant les cinq dernières années contre seulement 1 % entre 1993 et 1997 ; le SMIC net de 16 % contre 2 % ; les ASS de 15 % alors qu’elles avaient diminué de 4 5 % entre 1993 et 1997. Le RMI s’est accru de 7 % alors qu’il avait chuté de 0 3 % lorsque vous étiez au pouvoir. Le constat fait en matière de pouvoir d’achat vaut également pour la croissance et la création d’emplois.


Il est faux de prétendre que la France a été à la traîne ces cinq dernières années ! Bien au contraire ! Tant en ce qui concerne le taux de croissance que la création d’emplois elle était en tête de l’Union européenne.


En fait – et je conclurai sur ce point – loin de répondre aux questions qui se posent naturellement à propos de l’application des 35 heures votre projet de loi induit de profondes inégalités. Avec la réforme du régime des heures supplémentaires l’abandon de certaines garanties prévues par la loi pour encadrer la négociation la fin des allégements de charges sociales directement liés à l’application des 35 heures sans contrepartie vous allez figer les relations sociales dans les entreprises.Quel intérêt y a-t-il en effet aujourd’hui à organiser le travail sur une base de 35 heures ?


Pour les salariés qui ne connaissent pas les 35 heures c’est la fin de l’espoir d’une réorganisation du travail s’accompagnant de plus de temps libéré et cela sans même la contrepartie de travailler plus pour gagner plus puisque la rémunération des heures supplémentaires diminue. (« Tout à fait ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)


Quant à ceux qui bénéficient aujourd’hui des 35 heures ils disposent de plus de temps pour eux pour leur famille pour la culture pour le loisir si ce mot n’est pas devenu tabou pour vous en un mot pour leur épanouissement personnel.


Il y aura donc monsieur le ministre après le vote de votre projet de loi deux France : d’une part celle qui s’est organisée et a pu prendre en compte les évolutions économiques et sociales d’autre part celle qui rencontre le plus de difficultés et à qui vous n’offrez aucune perspective. Deux France deux rythmes économiques deux catégories de salariés sont autant de brèches au pacte républicain et à l’unité de la nation.


Pour toutes ces raisons je vous invite mes chers collègues au nom du groupe socialiste à voter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

2) 1ère SÉANCE DU JEUDI 3 OCTOBRE 2002 – Explication de vote du Groupe Socialiste après la discussion général

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.


M. Patrick Bloche. Comment ne pas être saisi d’une sorte de vertige en abordant ce débat si l’on songe au nombre d’heures passées dans cet hémicycle à élaborer patiemment aux côtés de Martine Aubry deux lois en 1998 puis fin 1999 qui en réduisant la durée hebdomadaire de travail ont provoqué une profonde dynamique de négociation dans nos entreprises ?

Entre 1998 et 2001 ce sont ainsi des dizaines de milliers d’accords qui ont été signés chaque année touchant non seulement à la réduction et à l’aménagement du temps de travail mais aussi aux conditions de travail à l’organisation générale dans l’entreprise ou aux rémunérations. C’est cette vraie richesse sociale avec ses conséquences économiques très directes – 300 000 emplois ont ainsi été créés par le gouvernement de Lionel Jospin – que vous nous demandez aujourd’hui de remettre fondamentalement en cause. Et il y a fort à parier qu’il ne faudra sans doute que quelques jours de débat parlementaire avec à la clé un vote conforme pour mettre à bas la savante architecture des 35 heures née avant tout du dialogue social. Car c’est bien d’un démantèlement systématique qu’il s’agit et non de ce prétendu assouplissement que vous avez voulu médiatiser craignant sans doute la réaction d’une large majorité de nos concitoyens : près de 60 % des salariés estiment en effet qu’avec les 35 heures leurs conditions de travail se sont améliorées 13 % seulement jugeant le contraire.


Lors de l’élaboration même de votre projet de loi vous avez souhaité donner le ton. Devant la Commission nationale de la convention collective vous aviez pourtant déclaré que votre méthode était celle de la concertation. Les organisations syndicales n’ont pas eu le temps de vous prendre au mot. En effet leur présentant votre pré-projet le matin vous en modifiiez le contenu de manière importante l’après-midi même.


Il est vrai que le doublement brutal des cotisations des intermittents du spectacle validé au coeur de l’été nous avait déjà instruits sur la manière délibérément unilatérale dont vous vous attaquez au droit du travail. Sur fond de revanche sociale le MEDEF guide vos pas et les rodomontades de M. Seillière n’ont trompé personne. Si on peut saluer l’artiste comment en effet être dupe d’une répartition des rôles si peu discrète ? La vérité c’est que le projet de loi que vous nous proposez est un antidote au dialogue social.. Vous lui tournez d’ailleurs volontairement le dos lorsque vous augmentez par décret de 130 à 180 heures le contingent d’heures supplémentaires permettant aux employeurs selon leur seul et bon plaisir de « revenir aux 39 heures » de l’aveu même du Premier ministre. S’agissant de la rémunération de ces heures supplémentaires qui était définie par la loi et que vous renvoyez à la négociation je pointe un risque majeur : celui de faire de la négociation un facteur non de progrès mais de régression sociale. Dans le système que vous voulez mettre en place nombre de salariés auront ainsi intérêt à ce qu’il n’y ait pas de négociation. En effet dans ce cas la loi qui devient alors protectrice s’applique et tout risque de diminution du taux de rémunération disparaît de fait. Au-delà du pragmatisme que vous affichez votre texte est d’inspiration très classiquement libérale. C’est bien entendu tout d’abord la suppression de toute contrepartie aux allégements de cotisations sociales accordés aux entreprises qui s’élèveront – excusez du peu ! – à 15 milliards d’euros. C’est aussi et de manière plus profonde un recul du rôle protecteur de l’Etat garant de la justice sociale que vous nous demandez d’avaliser et cela dans le cadre d’un développement particulièrement perceptible des inégalités entre les salariés des différents secteurs de notre économie.


Les atteintes que votre projet de loi porte aux droits au repos compensateur sous prétexte de simplification sont ainsi révélatrices d’une démarche qui conduit à supprimer des protections dont l’Etat par la loi était jusqu’à présent le garant. Aussi comment ne pas considérer que la politique de votre gouvernement constitue un flagrant retour en arrière dans la conception même de ce que doivent être les relations sociales et le rôle joué par la puissance publique dans un pays comme la France ?


Dans ce même hémicycle il y a quelques décennies de cela Léon Blum déclarait à nos déjà lointains prédécesseurs. Honneur à lui et honneur au Front populaire ! Léon Blum donc déclarait : « Vous savez ce que nous essayons de faire c’est une organisation économique et sociale nouvelle dans le cadre d’un pays libre entre des organisations patronales et syndicales libres sous l’égide ou l’arbitrage d’un gouvernement soumis à un Parlement souverain et par conséquent dans le cadre d’une démocratie. » Cette « feuille de route » qui fut également en son temps celle du gaullisme social aurait pu être la vôtre monsieur le ministre. Ce n’est visiblement pas le cas et force est de constater que vous lui avez préféré le cahier des charges du MEDEF.


Plus incompréhensible sans doute est le fait qu’après la suppression des emplois-jeunes et la diminution particulièrement condamnable des emplois aidés vous cassiez avec autant de légèreté et de rapidité un outil essentiel de la politique pour l’emploi alors même que le chômage repart à la hausse. A cet égard la réponse plutôt courte que vous avez donnée à notre collègue Hélène Mignon lors de la séance des questions au Gouvernement d’avant-hier n’a pu qu’accentuer ce manque de visibilité que nous ressentons sur les grands objectifs sociaux que vous prétendez poursuivre.


Ce qui est clair en revanche c’est que vous avez fait le choix de vous positionner à contre-courant des évolutions majeures de notre société dans son rapport au temps et tout particulièrement au temps de non-travail. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 1948 le temps de travail était de 120 000 heures annuelles dans une vie de 600 000 heures. Aujourd’hui depuis l’instauration des 35 heures le temps de travail s’élève à 63 000 heures dans une vie de 700 000 heures. Soit 96 000 heures de vie en plus 57 000 heures de travail en moins. En un demi-siècle la vie de non-travail a gagné près de 150 000 heures.


Parce qu’il occupe une place majoritaire dans le temps social le temps libre n’est plus ce résidu ce seul repos nécessaire à la reproduction de la force de travail mais un temps pour soi un temps autonome investi de sens qui produit ses propres normes et valeurs. Comme le souligne le sociologue Jean Viard dans le rapport qu’il avait remis à Elisabeth Guigou sur les effets des 35 heures « le temps libre devient la trame de fond du temps social ». (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour la majorité présidentielle.) D’autant plus que la France a fait depuis longtemps le choix d’un modèle paritaire du travail court très productif et à forte valeur ajoutée choix qui n’est pas sans conséquence sur la masse de temps libre disponible.


C’est la raison pour laquelle le passage aux 35 heures n’est apparu ni comme une rupture ni comme une révolution mais pluôt comme un « accélérateur de mutations » déjà à l’oeuvre dans notre société. La grande force de ce que nous avons voté il y a quatre ans réside moins dans la baisse quantitative du temps de travail que dans l’arythmie nouvelle que les 35 heures ont dessinée et dans le gain de liberté qu’elles ont procuré. Et si l’adhésion à une telle mesure a été aussi forte chez nos concitoyens c’est parce qu’elle a déplacé le centre de gravité du temps social du travail vers l’individu.


La loi sur la réduction du temps de travail a su ainsi répondre à deux exigences fortes : le manque de travail pour les uns et le manque de temps pour les autres. Elle témoigne ainsi que les notions de solidarité et de liberté loin d’être opposées sont au contraire fortement liées. C’est à ce temps « choisi » pour reprendre l’expression que Jacques Delors employait à une époque où la durée hebdomadaire de travail était encore de 40 heures c’est donc à ce temps choisi à ce temps libéré que vous vous attaquez. C’est un vrai projet de société que vous remettez frontalement en cause aujourd’hui. Craignez monsieur le ministre que nos concitoyens ne prennent très rapidement conscience des conséquences de vos choix pour eux dans leur vie personnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

3) 2ème SÉANCE DU JEUDI 3 OCTOBRE 2002 – Question sur l’article premier du projet de Loi

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.


M. Patrick Bloche. L’article 1er du projet de loi – Gaëtan Gorce Jean Le Garrec Martine Billard et Maxime Gremetz y ont fait référence – traite d’un domaine qui est particulièrement important puisque c’est celui qui traite de la politique salariale ou plutôt lorsqu’on l’étudie un peu plus précisément celui qui traite de l’absence de politique salariale de votre part monsieur le ministre. Nous pouvions pourtant espérer que le slogan que vous avez fait vôtre « rendre toute sa place au travail » allait s’accompagner de votre part d’un discours ambitieux en matière de politique salariale s’accompagner d’une politique ambitieuse en matière de rémunération du travail et de hausse du SMIC. Or il n’en est rien.


La rémunération des heures supplémentaires qui était définie par la loi est renvoyée à la négociation. J’y vois deux conséquences : au mieux de l’affichage au pire une nouvelle inégalité. De l’affichage parce que si l’objectif est d’augmenter le taux des heures supplémentaires il est tout simplement inutile de modifier la loi car rien n’empêche les partenaires sociaux de négocier des dispositions plus favorables en la matière. De la régression et de l’inégalité en second lieu car lorsque la négociation conduira à un taux inférieur à celui que garantissait la loi ce sera autant de salaire en moins pour les salariés concernés. En fait les salariés auront intérêt dans le système que vous mettez en place à ce qu’il n’y ait pas de négociation : dans ce cas la loi s’applique et les taux ne diminuent pas.


Il y a donc un risque majeur je l’ai dit ce matin je le répète cet après-midi de faire de la négociation un vecteur de régression et non de progrès social. Là aussi il est à craindre que le message final soit de permettre de faire travailler plus en payant moins.


Toucher à la rémunération des heures supplémentaires est donc de notre point de vue la première incohérence par rapport à votre discours général sur la politique salariale. Mais l’incohérence est encore plus flagrante s’agissant des dispositions concernant le SMIC.


Les explications qui nous sont données sont elliptiques et plutôt de nature à nous inquiéter. Il est faux de dire que les salariés rémunérés au SMIC verront leur pouvoir d’achat augmenter de 11 4 %. Comment peut-on simplifier ainsi le message alors même que cette augmentation vise à harmoniser les différents salaires mensuels minima existants ? Pour les salariés qui bénéficient d’une garantie mensuelle de rémunération prévue par la loi Aubry afin que le passage au 35 heures ne s’accompagne pas d’une baisse de salaire la hausse n’est pas aussi élevée qu’on veut le faire croire elle n’est que formelle. Ce qui était perçu grâce au complément mensuel sera perçu grâce au SMIC rehaussé. Ne laissez donc pas les salariés concernés espérer une hausse substantielle de leur salaire.


Outre qu’elles sont simplificatrices les déclarations du Gouvernement sur le SMIC sont pour le moins inquiétantes. Je ne m’explique pas notamment un autre point à propos duquel j’aimerais que le Gouvernement nous éclaire enfin sur ses intentions.


Pourquoi monsieur le ministre vouloir modifier temporairement les règles de revalorisation du SMIC en en déconnectant la hausse de l’augmentation du pouvoir d’achat ? J’ai cru comprendre que l’harmonisation prévue des SMIC jusqu’en 2005 – le MEDEF réclame même 2007 – devait s’accompagner d’un freinage de l’augmentation automatique du salaire minimum. De toute façon il vous faudra faire progresser le SMIC plus que de la seule augmentation automatique du pouvoir d’achat ?


Pourquoi vous donner cette peine si ce n’est parce qu’elle préfigure peut-être malgré vos déclarations et nous vous en faisons crédit une réforme plus profonde du SMIC comme vous y poussent le MEDEF et un trop grand nombre de vos amis ?


Je ne tente pas ici monsieur le ministre de vous prêter des intentions qui ne seraient pas les vôtres mais je pense que dans l’intérêt même des salariés concernés et pour éclairer la représentation parlementaire il serait utile que vous soyez plus clair sur vos objectifs.