Projet de loi concernant l’emploi des jeunes en entreprise
Discussions de l’article 3
Débat concernant le doublement des cotisations d’assurance chômage des intermittents du spectacle et de leurs employeurs
M. Patrick Bloche – Monsieur le Ministre, le 17 juillet dernier, dans la soirée, au Sénat, au motif de l’urgence, vous avez fait voter un amendement à votre prjet de Loi qui est devenu l’article 3. Et tant pis si le matin même, au conseil supérieur de l’emploi, deux syndicats particulièrement représentatifs des professions du spectacle, FO et la CGT, avaient fait valoir leur opposition à l’accord du 19 juin, dont la conséquence directe sera le doublement des cotisations chômage des intermittents du spectacle et de leurs employeurs.
Deux semaines plus tard, l’argument de l’urgence a perdu une bonne part de sa raison d’être. Vous y avez contribué personnellement, Monsieur le ministre, en annonçant le report de deux mois dans la mise en oeuvre de cet accord, qui devait initialement réotractive au 1er juillet. Votre collègue, Monsieur Jean-Jacques Aillagon, Ministre de la Culture a ainsi obtenu de Matignon de préserver sa quiétude festivalière. Nous en sommes très heureux pour lui , mais le cavalier parlementaire subsiste et les conséquences, à terme, de la décision du 19 juin restent entières.
Cet avenant soumis à votre agrément, loin d’être exemplaire d’un dialogue social constructif, a été signé dans la précipitation, sous la pression du MEDEF, qui attendait depuis longtemps le contexte politique qui lui permît ce mauvais coup cau spectacle vivant. Comment expliquer autrement qu’il n’y ait eu aucune concertation préalable avec les organisations représentatives du secteur, notamment la FESAC, lesquelles avaient pourtant négocier l’accord du 15 juin 2000 que l’UNEDIC a toujours refusé de prendre en comptealors qu’il contenait d’intéressantes dipositions visant à corriger certains dysfonctionnements nés de la mise en oeuvre des annexes VIII et X?
Personne ne conteste que ce régime particulier de l’assurance chômage doive être réformé pour gagner en cohérence et en rigueur, ne serait-ce que pour limiter les abus qui conduisent les grandes entreprises du secteur à profiter de ce régime pour ne pas avoir à employer à temps complet nombre de leurs salariés. Nous sommes donc d’accord pour sauver ce régime, Monsieur le ministre, en supprimant les dérives qui dénaturent de système des 507 heures et en faisant confiance pour cela aux organisations représentatives du secteur mais pas comme vous le proposez, en mettant aussi gravement en cause le principe de la solidarité interprofessionnelle qui régit l’UNEDIC, pas en rompant l’égalité entre les salariés de droit commun et les intermittents du spectacle.
La modification du code du travail, portée par l’article 3, en permettant une différenciation au sein de l’UNEDIC – c’est la problème des cotisations des diverses branches professionnelles -, traduit en fait la volonté du MEDEF de balkaniser progressivement l’assurance chômage. Cela n’est pas acceptable.
Aussi, loin de préserver les annexes VIII et X, la porte ouverte par l’article 3 risque plutôt de les condamner à terme: soit nous assisterons à la dissolution des annexes VIII et X dans l’annexe IV qui concerne les intérimaires, ce qui serait pour le moins paradoxal; soit, et cette deuxième hypothèse nous paraît plus sérieuse, l’abandon progressif du régime particulier aboutira en fait à remettre en cause le statut de salarié de nombre de travailleurs du secteur culturel. La logique du contrat commercial ou de la prestation de services pourrait ainsi peu à peu supplanter la présomption de salariat établie par l’article 762-1 du code du travail.
En prenant l’initiative, à l’invitation de Jean Le Garrec, de la discussion puis de l’adoption du texte devenu la Loi du 5 mars 2002, nous avions eu pour seul objectif de combler un vide juridique afin de sécuriser les intermittents. En nous demandant aujourd’hui de donner une base légale à l’agrément du 19 juin, vous contribuez au contraire à les insécuriser.
C’est avec un curieux esprit de solidarité gouvernementale à l’égard de votre collègue chargé de la Culture, dont le budget est d’ordinaire si malmené par Bercy, que vous avez, lors du débat au Sénat, approuvé de façon étonnante un élu de la majorité qui suggérait tout simplement que l’Etat accorde des subventions supplémentaires pour combler le déficit des entreprises du spectacle vivant né du doublement des cotisations.
Jean-Jacques AILLAGON, s’étant déclaré « ministre des artistes », craignons qu’avec une telle mesure ‘il devienne bientôt un ministre sans artistes.
Pour sauvegarder le régime des intermittents, mais aussi le « ministre des artistes », le groupe socialiste a déposé un amendement de suppression de l’article 3 (Amendement n°91).
M. le Ministre – La décision des partenaires sociaux de relever les cotisations est évidemment impopulaire. Mais je pense que les professionnels du secteur – aussi bien les intermittents que les employeurs – ont mesuré les risques qu’engendrerait l’inaction. M. Bloche a parlé de solidarité. Je rappelle que, pour les intermittents du spectacle, le rapport des prestations aux cotisations est de 8,37. Cela signifie que pour un euro versé par les intermittents, plus de 7 le sont par les autres salariés. Si la solidarité interprofessionnelle supporte ce déséquilibre, elle ne le fera durablement que si l’on _uvre à le réduire. L’entrée en vigueur de l’avenant signé le 19 juin ramènera le rapport prestations sur cotisations à 4,20, ce qui demeure considérable, mais du moins aura-t-on donné un signe de bonne volonté.
Que se passerait-il sinon ? Les partenaires sociaux se verraient désavoués, tandis que seraient remis en cause non seulement l’avenant du 19 juin, mais aussi le compromis négocié pour sortir l’UNEDIC de l’impasse financière de plus de 3 milliards d’euros, dans laquelle il se trouve.
Pis, la crédibilité de l’Etat lui-même serait atteinte, car il se doit de soutenir les partenaires sociaux lorsque ceux-ci prennent des décisions courageuses (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe C. et R.), au lieu de se laisser influencer par quelques lobbies à la vue courte… (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Je dis : à la vue courte, car c’est l’avenir du système des intermittents du spectacle que votre inaction a mis en cause !
(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Oui ou non, acceptons-nous de faire confiance aux décisions des partenaires sociaux ?
M. le président:– La parole est à Monsieur Patrick Bloche pour soutenir l’amendement n°91.
M. Patrick Bloche:– Puisque je suis déjà intervenu sur l’article 3, je vais simplement répondre à M. le ministre.
Sur le dialogue social, monsieur le ministre, ne donnez pas l’impression à notre assemblée que l’accord conclu le 19 juin dernier aurait été refusé par des syndicats qui par habitude, systématiquement, rejettent la logique de négociation collective. La réalité c’est que l’accord du 19 juin est refusé par les partenaires aussi bien du côté syndical – FO et CGT, qui sont les deux oragnisations les plus représentatives du secteur – que du côté patronal, par la FESAC, qui avait pourtant été mandatée par le MEDEF pour négocier l’accord du 15 juin 2000 visant à réformer en profondeur le régime particulier des intermittents du spectacle.
Nous ne saurions vous suivre, monsieur le ministre, dans l’idée que les partenaires sociaux signataires de l’accord de juin dernier aurait fait preuve d’un courage exemplaire. Doubler des cotisations pour combler un déficit, faisant ainsi baisser le pouvoir d’achat des salariés concernés et mettant nombre d’entreprises en difficulté, c’est plutôt de la facilité. Ce qui est beaucoup plus compliqué, qui demande du temps – et c’était toute la démarche de l’accord du 15 juin 2000 – c’est une réforme en profondeur du régime particulier des intermittents du spectacle, pour assurer sa pérennité.
Surtout, ce qui est grave, c’est que le cavalier parlementaire remet en cause la solidarité interprofessionnelle de l’assurance chômage. AUjourd’hui ce sont les intermittents du spectacle, mais demain, ce sont d’autres catégories professionnelles qui seront touchées, et cela, nous ne pouvons l’accepter.