Sur les garanties apportées
M. Patrick Bloche attire l’attention de M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, sur les garanties apportées au vote électronique. D’expérimentations en décrets, un processus rampant d’instauration du vote électronique pour les élections politiques semble amorcé en France. En novembre 2003, le ministère de l’intérieur, et de l’aménagement du territoire a publié un règlement technique fixant les conditions d’agrément des machines à voter et a donné les premiers agréments à plusieurs équipements. Lors des élections européennes, dix-huit communes françaises ont utilisé des systèmes de vote électronique, certaines se passant totalement de bulletins, d’urnes et d’isoloirs. Les travaux du forum des droits sur l’internet ont permis de défricher les principaux enjeux du vote électronique, qu’il s’agisse des principes, des modalités et des garanties à réunir. Et sa recommandation, rendue publique le 26 septembre 2003, ne dissimule pas les risques liés à la mise en place du vote électronique, notamment quant à la sincérité du suffrage et au secret du vote : «Les risques de manipulation du sens du suffrage apparaissent beaucoup plus importants avec le vote électronique qu’avec le vote papier. (…) Avec le dépôt d’un bulletin papier dans une urne, il n’existe pas d’intermédiaires entre la volonté de l’électeur et l’expression de son suffrage. L’urne représente une garantie de transparence car le processus est visible de tous. En revanche, le vote électronique interpose un système informatique opaque entre l’électeur et son bulletin. Cette sensation de l’existence d’une « boîte noire échappant à la vision de l’électeur peut engendrer une défiance à l’égard d’un système de vote électronique chez certaines personnes qui peuvent douter du fait que leur choix de vote a réellement été pris en compte sans dénaturation en aval par le système de vote ou n’a pas été modifié par des candidats malintentionnés. De même, l’utilisation d’un système de vote électronique pourrait permettre de lier l’identité de l’électeur et le sens de son vote. » Ces observations du forum des droits de l’internet suggèrent qu’il convient d’aborder le vote électronique avec prudence et appellent plusieurs remarques : 1. En France, si le Parlement a modifié, en 1969, le code électoral pour autoriser l’utilisation de machines à voter au sein des bureaux de vote, il n’a plus eu, depuis, l’occasion d’en débattre. 2. Par ailleurs, le vote traditionnel présente plusieurs excellentes propriétés, à commencer par la confiance : l’ensemble de la procédure est transparent et vérifiable par tout le monde. Le vote électronique, a contrario, interpose un système informatique opaque entre l’électeur et son bulletin. Ce constat conduit à imaginer des systèmes permettant de procéder à un recompte des votes, en cas de contestation, de fraude avérée ou de panne. La Belgique, par exemple, a décidé d’expérimenter un système de contrôle du vote automatisé par impression des votes émis sur un support papier, appelé «ticketing». 3. Les partisans du vote électronique invoquent souvent la réduction du coût des opérations électorales : économies en personnel et matériel grâce au dépouillement électronique et économies liées à l’impression des bulletins de vote. Il lui demande donc s’il envisage d’associer la représentation nationale a l’évaluation des expérimentations en cours et d’ouvrir un débat public sur le vote électronique, si l’exigence de vérification rétrospective est aujourd’hui prise en compte dans les systèmes agréés par le ministère de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, s’il dispose d’études économiques permettant de mieux cerner le bilan coûts/avantages de l’introduction du vote électronique ainsi que d’estimations relatives au budget d’investissement requis pour généraliser de tels systèmes et, enfin, comment cet investissement sera partagé entre l’État et les collectivités locales.
Réponse – Le droit électoral autorise d’ores et déjà le recours au vote électronique. L’article L. 57-1 du code électoral, introduit par la loi n° 69-419 du 10 mai 1969, permet ainsi aux communes de plus de 3.500 habitants de recourir aux machines à voter dans les bureaux de vote. Ces machines doivent être d’un modèle contrôlé par un expert indépendant et agréé par le ministère de l’intérieur, conformément au règlement technique du 17 novembre 2003 fixant les conditions d’agrément des machines à voter. Par ailleurs, le vote par internet a été expérimenté lors du renouvellement partiel du Conseil supérieur des Français de l’étranger en 2003 dans les circonscriptions des États-Unis et en 2006 pour l’élection des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger dans la zone Europe-Asie-Levant. Lors de cette dernière élection, 10 200 électeurs ont voté par internet, soit 14% du total des votants. L’expérimentation a donné satisfaction sur le plan technique. En revanche la participation enregistrée a été moins importante qu’attendue. À cet égard, la complexité des procédures d’inscription et de vote a sans doute dissuadé nombre d’électeurs d’y recourir. L’expérience menée ne doit donc pas conduire à écarter a priori le vote par Internet. Toutefois, son extension à des scrutins de plus grande ampleur mérite de faire l’objet de nouvelles expérimentations. En tout état de cause, tout développement significatif du vote par voie électronique relève du domaine de la loi et serait donc soumis à l’approbation des assemblées après un débat devant le Parlement. S’agissant de l’emploi des machines à voter, les exigences de sécurité posées par le règlement technique n’incluent pas de système permettant un recompte des votes. Il est toutefois rappelé à l’honorable parlementaire qu’un tel système n’existe pas non plus pour le vote traditionnel puisque, conformément à l’article R. 68 du code électoral, les bulletins sont détruits à l’issue du dépouillement. En cas de contestation, la fiabilité de la machine pourrait être contrôlée par des tests de conformité. En outre, l’application des exigences du règlement technique fait l’objet d’un suivi régulier : son contenu sera révisé s’il apparaît que des modifications, telles, par exemple, que celles suggérées par l’honorable parlementaire, sont nécessaires. Sur le plan économique, le Gouvernement ne dispose pas d’estimations relatives au budget d’investissement requis pour généraliser le système du vote électronique, dans la mesure où, si cette généralisation était décidée, l’impact sur les prix pratiqués actuellement par les fabricants serait difficilement quantifiable. À ce jour, l’État verse aux collectivités une subvention d’un montant de 400 euros par machine à voter achetée.