Sur la brevetabilité des logiciels.
Question écrite
à Monsieur le Ministre délégué à l’Industrie sur la brevetabilité des logiciels.
M. Patrick Bloche appelle l’attention de Mme la ministre déléguée à l’industrie sur la proposition de directive sur la « brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur ». Le 24 septembre, après un large débat, d’une grande qualité, le Parlement européen s’est prononcé sur cette proposition de directive. Il était impératif de légiférer et de prendre une position sans ambiguïté face au dérapage incontrôlé de l’Office européen des brevets (OEB). L’écueil était précisément d’éviter de légaliser quelque 30 000 brevets logiciels abusifs, acceptés par l’OEB en contradiction avec sa convention fondatrice. Le Parlement européen a adopté en séance plénière de nombreux amendements au rapport de la Commission juridique du Parlement européen. Ces amendements délimitent de manière stricte ce qui peut faire l’objet ou non d’un brevet. « Les inventions mises en œuvre par ordinateur doivent apporter une contribution technique à l’état de la technique pour les distinguer d’une création de l’esprit qui relève quant à elle du droit d’auteur. Une invention mise en œuvre par ordinateur n’est pas considérée comme apportant une contribution technique uniquement parce qu’elle implique l’utilisation d’un ordinateur. L’utilisation des forces de la nature afin de contrôler des effets physiques au-delà de la représentation numérique des informations appartient à un domaine technique. Le traitement, la manipulation et les présentations d’informations n’appartiennent pas à un domaine technique, même si des appareils techniques sont utilisés pour les effectuer. La détention d’un brevet ne peut faire obstacle à l’interopérabilité entre les programmes. Si le recours à une technique brevetée est nécessaire de façon à permettre la communication et l’échange des données entre deux réseaux informatiques, ce recours ne doit pas être considéré comme une contrefaçon. » Ce texte, soumis à la procédure de codécision, sera prochainement débattu en conseil des ministres. Aussi, il souhaiterait connaître la position de la France à l’égard de cette proposition de directive. Si les amendements votés par le Parlement européen sont de nature à lever la réserve générale que les autorités françaises avaient émise en novembre 2002 sur le texte proposé par la Commission et si les autorités françaises entendent intervenir pour y intégrer les amendements votés par le Parlement.
Réponse – Le projet de directive européenne portant sur la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur n’a pas pour finalité d’étendre le champ de la brevetabilité, mais, bien au contraire, d’en préciser les limitations, tout en restant respectueux des accords internationaux auxquels nous adhérons. Cependant, des ambiguïtés étaient présentes dans le projet initial élaboré par la Commission européenne et avaient motivé des réserves de la France vis-à-vis de ce texte. Lors du premier examen de ce projet de directive, le Parlement européen a voté des amendements significatifs. Certains d’entre eux, issus des travaux de sa commission juridique, corrigent le texte dans le sens approprié, à l’instar de ce qui avait été proposé par le groupe de travail des représentants des États membres. D’autres amendements introduisent des limitations plus drastiques au champ de la brevetabilité et des conditions plus limitatives aux critères de brevetabilité : ils nécessiteront une analyse complémentaire concernant leur compatibilité avec l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) auquel l’Union européenne et les États membres adhèrent en tant que membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En Europe, une invention est brevetable si, relevant d’un domaine technologique, elle est nouvelle, implique une activité inventive et est susceptible d’application industrielle. Pour impliquer une activité inventive, une invention doit apporter une contribution technique. Ces critères sont bien plus restrictifs que ceux appliqués aux États-Unis où, en l’absence d’exigence de contribution technique, la jurisprudence a pu étendre le champ de la brevetabilité aux logiciels et aux méthodes d’affaires, ce qui n’empêche d’ailleurs pas le logiciel libre de s’y développer. En Europe, un logiciel en tant que tel n’est pas considéré comme une invention brevetable : ne pourra l’être qu’une solution technique innovante apportée à un problème technique, solution qui peut être mise en oeuvre par des moyens matériels ou logiciels. Le droit d’auteur est une protection contre la copie servile de tout logiciel, innovant ou pas, mais n’interdit pas la reconstitution d’une invention ; seul le brevet permet à un inventeur de protéger ses droits vis-à-vis de compétiteurs, notamment des grandes entreprises. Le développement des technologies informatiques a naturellement conduit à l’augmentation des dépôts de brevet dans ce secteur. Si des brevets ont été accordés alors qu’ils ne paraissent pas répondre aux critères en vigueur en Europe, la procédure d’opposition peut être utilisée pour les contester. Mais actuellement, en l’absence de texte communautaire, des divergences de jurisprudence peuvent apparaître entre États membres. L’intérêt d’une directive communautaire est de permettre l’élaboration d’une jurisprudence européenne unifiée sur la base de critères explicites, ce qui devrait être accueilli favorablement par l’ensemble des acteurs économiques européens, en particulier les petites entreprises et les développeurs indépendants promoteurs de logiciels libres. Encore faut-il que cette future directive pose des règles claires et applicables et qu’elle soit compatible avec les engagements internationaux de l’Union européenne. C’est ce à quoi s’emploie le Gouvernement français, soucieux de transparence et attentif à favoriser l’émergence de positions équilibrées.