Motion de rejet – Projet de loi protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Monsieur le Président,
Madame la Garde des Sceaux,
Monsieur le Ministre,
Madame la Présidente,
Monsieur le Rapporteur,
Mes Chers Collègues,
Dans les séries américaines que j’évoquais ici-même il y a quatre mois, les saisons -comme vous le savez- se succèdent.
Parfois, elles durent longtemps grâce à leur succès, et puis parfois on les fait durer artificiellement, pour faire croire à leur intérêt, pour ne pas perdre le bénéfice de l’argent investi, en essayant de les relancer souvent à grands coups de marketing. Alors, on change les acteurs pour créer la nouveauté, on multiplie les intrigues et souvent, on en fait tellement que la série devient de plus en plus mauvaise avec un scénario qui n’a plus aucun sens.
C’est malheureusement dans ce deuxième cas de figure que nous nous trouvons aujourd’hui au moment d’entamer la quatrième saison d’Hadopi. Car, mes chers collègues, le producteur Nicolas Sarkozy nous l’a dit dans son discours de Versailles : il ira « jusqu’au bout ». Ça tombe bien : nous aussi!
Notre groupe souhaite tout d’abord reprendre tout le travail de persuasion qu’il a entamé durant les lectures précédentes.
Comment, à cette tribune, ne pas dire et redire en quoi Hadopi 2, comme Hadopi 1, est un texte inutile et dépassé, en quoi il n’est qu’un leurre pour les auteurs puisqu’il ne rapportera pas un euro de plus à la création, comment ne pas rappeler que nous ne devrions pas légiférer en opposant stérilement les artistes et leur public.
Surtout, inlassablement, nous voulons continuer à proposer des solutions alternatives. Nous avons, à cet effet, lancé des pistes de réflexion afin de répondre à ce qui devrait être la préoccupation première du gouvernement et de sa majorité: comment financer la création à l’ère numérique?
N’est-il pas temps, en effet, de prendre en compte notre proposition de contribution créative qui est la seule à assurer un nouveau mode de financement de la musique adapté aux réalités d’Internet?
N’est-il pas temps , en mettant tout le monde autour d’une table, de rédiger une autre loi qui rassemble les artistes et les internautes?
N’est il pas temps enfin de cesser de retarder les échéances, alors que les lignes Maginot que vous édifiez sont contournées les unes après les autres. Quatre ans ont ainsi été perdus depuis la loi DADVSI sans que de nouvelles rémunérations pour la Culture ne se mettent en place.
Depuis votre récente prise de fonctions, Monsieur le Ministre de la Culture, vous évoquez pour ne pas dire invoquez, à l’envie, le troisième volet d’Hadopi sans qu’on en sache encore grand chose. Il eut, sans nul doute, fallu commencer par là. Toute l’énergie qui a été dépensée depuis des mois sur des projets de loi aussi inutiles qu’ inefficaces aurait été ainsi bien mieux utilisée. Car la route sera longue, Monsieur le Ministre et vous serez rapidement confronté à un choix : la sanction ou la contribution au financement de la culture. Car, nos concitoyens refuseront inévitablement et l’un et l’autre.
La censure historique du Conseil constitutionnel, faut il le rappeler, a été cinglante pour le gouvernement et sa majorité, en décapitant l’Hadopi de son pouvoir de sanction. Vous avez refusé d’entendre nos arguments qui étaient autant d’avertissements et vous avez eu tort.
Depuis, le gouvernement, sous pression élyséenne, s’entête pour ne pas dire s’enferre. Plutôt que de reconnaître qu’il a fait fausse route et qu’Hadopi c’est cuit, il persévère. Une fois de plus, dans la précipitation et sans aucun recul, a été rédigé un nouveau projet de loi. Entre temps aussi, un remaniement ministériel a eu lieu. Bienvenue donc aux deux nouveaux acteurs ministériels de la saison 4 d’Hadopi !
Nous sommes donc amenés, aujourd’hui, à discuter d’un projet de loi pénal. Nous voyons, à cet égard, un certain paradoxe au fait qu’Hadopi 1 qui était présenté abusivement, de notre point de vue, comme un texte pédagogique ait été examiné au fond par la commission des lois de l’Assemblée nationale, alors que le texte Hadopi 2 qui n’est rien d’autre qu’un texte répressif ne l’ait pas été.
Pensez-vous ainsi que l’extension du champ des ordonnances pénales n’intéresse pas les commissaires aux lois ou, au contraire, avez vous craint que cela aurait pu trop les intéresser ?
Que nous présente, en effet, le Gouvernement, mes chers collègues, sinon un projet de loi qui fait semblant d’avoir pris acte de la décision du Conseil constitutionnel pour mieux la contourner, comme l’ont révélé les récents débats au Conseil d’Etat, tout en donnant maladroitement des gages aux ayants droits inquiets du temps que pourra prendre cette prise de sanction en leur « vendant » la procédure accélérée de l’ordonnance pénale, en un mot une justice expéditive!
C’est peu dire, Madame la Garde des Sceaux que nous souhaiterions, au cours de ces débats vous entendre plus globalement sur les choix de politique pénale que ce texte vous contraint de faire.
Comment concrètement cela va-t-il se passer si cette loi est promulguée? Il nous a semblé utile pour éclairer nos débats, de rappeler les principales étapes de la procédure, ne serait-ce que pour démontrer la logique absurde qui vous anime.
Tout d’abord, il est nécessaire qu’un téléchargement soit opéré et repéré comme étant un téléchargement illégal. Il est utile de l’avoir à l’esprit car cela se situe en amont de de la décision judiciaire .
Lors de la discussion sur Hadopi 1, nous avions, à de nombreuses reprises, interrogé le gouvernement sur la manière dont cela allait se passer. Nous n’avions alors jamais obtenu de réponse. Et puis, en lisant les observations du gouvernement sur notre recours devant le Conseil Constitutionnel, nous avons découvert la façon, je cite, « dont seront relevés les indices d’un manquement à la procédure conduisant à l’identification de l’abonné ». Ainsi, je cite toujours : « les ayants droits vont constituer une base de données numériques d’environ 10 000 phonogrammes et 1000 films différents. Un prestataire choisi par les ayants droits procédera ensuite à l’interrogation des réseaux pair à pair connus pour abriter de l’échange illégal : l’interrogation prendra la forme d’une requête pour un contenu donné. Lorsque l’adresse IP d’un abonné sera signalée comme ayant répondu à une demande de partage de ce fichier», il sera ainsi repéré.
Il est à noter ici que seul le téléchargement de certaines oeuvres sera surveillé, créant une étonnante discrimination entre artistes.
Les ayants droits transmettront alors les relevés dits « d’incidents » à l’Hadopi avec l’adresse IP repérée sur le net. L’Hadopi interrogera les FAI pour savoir si cette adresse IP correspond à l’un de leurs abonnés. Les FAI transmettront à l’Hadopi les coordonnées de l’abonné.
C’est à ce moment-là seulement que l’Hadopi transmettra son premier mail d’avertissement à l’internaute pour l’informer qu’il a téléchargé un contenu illégal sur le net, ou si ce n’est lui, en tout cas que cela s’est fait à partir de son adresse IP. Mail d’avertissement dont on ne sait s’il parviendra à son destinataire dans la mesure où il sera envoyé sur l’adresse donnée par le fournisseur d’accès. Si par chance il le reçoit, il ne pourra, de toute façon, à ce stade, contester la mise en cause qu’il contiendra.
Si la même adresse IP est à nouveau signalée à l’Hadopi par un nouveau rapport dit « d’incidents », la Haute Autorité enverra à l’abonné une recommandation qui, selon l’article 1er ter du projet de loi actuel, devra comprendre une information sur les sanctions prévues par Hadopi 2 .
Si la même adresse IP est à nouveau repérée comme ayant permis le téléchargement de l’oeuvre d’un artiste qui a le privilège d’être protégé, les agents assermentés de l’Hadopi constitueront un dossier a destination du Parquet.
En ce qui concerne ces agents assermentés, nous dénonçons d’ailleurs le fait que, dans l’article 1er bis, vous modifiez Hadopi 1 qui a été promulguée il y a tout juste un mois en faisant disparaitre les garanties de moralité et de déontologie de ces agents qui devaient être définies par décret en Conseil d’Etat, alors même que le présent projet de loi étend considérablement leurs pouvoirs, en leur accordant des prérogatives de police judiciaire.
Le Sénat a fort justement voulu préciser que les internautes devaient être entendus par ces agents s’ils le demandaient. Ils devront dans ce cas être convoqués par l’ Hadopi. Mais dans quels délais ? Imaginons que 40 000 internautes en fassent annuellement la demande. Comment cela va-t-il se le faire et avec quels moyens ? Nous souhaiterions être éclairés sur ce point compte tenu de l’amoncellement de tâches qui attend les « petites mains » de l’Hadopi chères à Madame Albanel.
Les agents de l’Hadopi vont donc établir des PV de constatation et éventuellement d’audition. En réalité, en ce qui concerne les actes de téléchargement illégal, ils constateront surtout et uniquement qu’ils ont reçu des signalements de la part des titulaires de droits. C’est un peu léger ! Ils compileront les données en leur possession, feront leur enquête comme ils pourront, afin, comme le dit Monsieur Riester dans son rapport, « qu’elle soit la plus complète possible et évite, dans la mesure du possible, soit la nécessité d’une enquête de police complémentaire, soit un classement sans suite de la procédure transmise au parquet. »
Le Parquet, une fois destinataire de cette enquête, transmettra au juge en spécifiant sans nul doute qu’il souhaite recourir à l’ordonnance pénale, afin d’accélérer la procédure. Je dis ici « sans nul doute » car, au moment où nous discutons de ce point fort contestable de votre projet de loi, nous n’avons toujours pas, malgré nos demandes, le projet de circulaire de Madame la Garde des Sceaux annoncé dans l’étude d’impact du gouvernement. Nous le redemandons, à cet instant, avec insistance.
Le gouvernement a, en effet, pour objectif de montrer que tout cela peut aller vite, de démentir ce qu’on appelle habituellement les lenteurs de la justice qui auraient pu inquiéter les ayant droits. De là est venue l’idée d’élargir le champ des ordonnances pénales à la protection du droit d’auteur. Rappelons que cette procédure dite simplifiée a comme caractéristique d’être écrite et non contradictoire. Rappelons aussi qu’elle conduit à une absence de collégialité dans la mesure où c’est une procédure avec un juge unique.
Nous contestons fortement ce recours aux ordonnances pénales tant les garanties apportées en théorie par le juge sont réduites à portion congrue et surtout parce qu’il concernait jusqu’à présent la sanction d’infractions difficilement contestables : or, ce qui peut s’avérer évident pour le respect du code de la route ne l’est pas lorsqu’il s’agit d’Internet.
Vous tentez pourtant, depuis déjà plusieurs mois, de faire une analogie entre répression du téléchargement illégal et la mobilisation contre l’insécurité routière. Vous avez même été amené Monsieur le Ministre de la Culture, de manière caricaturale, à faire référence encore ce matin, je cite, « aux chauffards de l’internte ». Je suis au regret de vous dire que cela n’a pas de sens.
Non seulement vous ne pouvez pas comparer le relevé automatique d’un radar au dossier qui sera constitué par les agents de l’Hadopi ; mais au-delà, il est inconcevable de comparer la possibilité pour l’automobiliste de faire valoir le fait qu’il avait prêté sa voiture le jour de l’infraction ou qu’il se l’était fait voler, à la nécessité pour l’internaute de prouver que quelqu’un d’autre que lui a téléchargé à son insu. D’ailleurs, dans son cahier numéro 27 concernant sa décision du 10 juin dernier sur Hadopi 1, le Conseil Constitutionnel a stipulé : « Il n’est pas besoin d’entrer dans le débat technique susévoqué pour constater qu’il est autrement plus difficile, pour un internaute, de savoir et, a fortiori, de démontrer que son accès à internet est utilisé à son insu, que, pour le propriétaire d’un véhicule, de savoir que ce dernier a été volé… Il n’y avait pas d’équivalence possible dans la « vraisemblance de l’imputabilité » entre ces deux situations. »
Or, la seule adresse IP ne pourra faire foi, vous le savez bien. La preuve, vous ne pourrez l’obtenir que si le dossier de l’Hadopi ou l’enquête contiennent des aveux. Cette preuve n’est possible que par l’aveu, ce qui, relevons-le, est en totale contradiction avec les déclarations de Nicolas Sarkozy, qui affirmait, le 7 janvier dernier, lors de ses voeux aux magistrats, qu’il fallait, je cite : « passer de la culture de l’aveu à la culture de la preuve ».
Par ailleurs, alors que le Conseil Constitutionnel a insisté sur la nécessité de garantir les droits de la défense en matière de suspension de l’accès à internet, la procédure de l’ordonnance pénale offre peu de garanties en ce domaine.
Rappelons aussi que cette procédure n’est pas applicable si le prévenu était mineur au jour de l’infraction, ou si la victime a formulé, au cours de l’enquête, une demande de dommages et intérêts.
La loi est actuellement ainsi faite. Mais cette dernière disposition vous a, semble-t-il, causé problème. Les ayants droits ont, en effet, compris que votre dispositif tentait de répondre à leur demande de rapidité mais que, de fait, il en oubliait l’essentiel, leurs droits .
Aussi, le Sénat avait il prévu que la Haute autorité informerait les représentants des ayants droit sur les éventuelles saisines de l’autorité judiciaire qu’elle opérera, leur permettant ainsi de décider s’ils souhaitent ou non se constituer partie civile et, le cas échéant, se signaler auprès du procureur de la République afin de bénéficier de la procédure classique. Mais, de fait, ils devaient choisir entre dommages et intérêts ou procédure rapide.
Ce n’était visiblement toujours pas satisfaisant, jusqu’au moment où Monsieur le Rapporteur est intervenu en créant, par voie d’amendement, un régime d’exception permettant, en l’espèce seulement, que le juge puisse statuer en même temps sur le pénal et sur le civil.
Aussi, pouvez-vous nous dire, Madame la Garde des Sceaux, ce qui justifie cette exception? Pourquoi les victimes de pratiques commerciales prohibées, par exemple, ne pourraient-elles pas elles aussi bénéficier de cette nouvelle opportunité ? Cela montre bien a quel point vous tâtonnez, à quel point vous essayez de colmater les brèches les unes après les autres.
L’ordonnance pénale est déjà une exception au droit commun, à laquelle vous ajoutez une nouvelle exception. Le principe d’égalité est à nouveau bafoué.
Dans le cas où le procureur décide de recourir à l’ordonnance pénale, il doit transmettre le dossier au juge unique en motivant sa décision, mais surtout après avoir estimé que les faits sont établis avec certitude. C’est là que nous revenons à nouveau et inlassablement à la même question. Comment peut-on établir avec certitude qu’un internaute a téléchargé illégalement un fichier ? Il est impossible, sauf à effectuer des recherches longues, techniques et coûteuses, d’établir en l’espèce et avec certitude la culpabilité d’un internaute. D’ailleurs, le 23 février dernier, le tribunal de Guingamp a estimé que l’adresse IP d’un internaute n’était pas suffisante pour déterminer ou non la culpabilité d’un prévenu le relaxant, de fait, au bénéfice du doute.
Le principe, résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est clair : « nul n’est punissable que de son propre fait ».
Le juge devra donc demander une enquête complémentaire et, alors même que les juridictions manquent cruellement de crédits budgétaires pour les financer, nous nous interrogeons tant sur leurs capacités à le faire que sur les moyens réels de prouver la culpabilité des internautes.
une fois l’ordonnance pénale rendue, ce sont alors les agents de l’Hadopi qui, déjà fort occupés par la constitution des dossiers d’incrimination des internautes, devront informer les Fournisseurs d’Accès à Internet de la décision de justice, FAI qui auront alors 15 jours pour suspendre l’accès à Internet sous peine d’amende. Notons ici que permettre à des organismes privés d’exécuter une décision de justice est plus qu’ étonnant. Alors que le considérant 28 de la décision du Conseil Constitutionnel du 10 juin 2009 définissait le rôle de l’Hadopi comme purement préparatoire à l’instance, plusieurs articles du texte enlèvent ainsi au juge l’application des peines pour les confier à cette autorité qui notifiera aux FAI les suspensions, tiendra un fichier de suivi des suspendus et s’assurera que les peines ont bien été effectuées. Or, il appartient à la justice de faire exécuter les peines qu’elle prononce. C’est même au coeur du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.
Je tente, tant bien que mal, ne m’en voulez pas, de vous éclairer, mes chers collègues, sur toutes les étapes de la procédure – et sachez que j’en ai omis certaines – , sur les allers retours entre ayants droits et Hadopi, entre Hadopi et FAI, sur les diverses constitutions et transmissions de dossiers ou d’enquêtes, sur les allers retours et les notifications entre parquet et juge puis juge et parquet, précédant de nouveaux échanges entre Hadopi et FAI afin de vous alerter sur le dispositif insensé créé par ce projet de loi dont le seul objectif est d’aboutir à ce que l’on peut désormais qualifier de graal du gouvernement : arriver à tout prix à suspendre la connexion internet de nos concitoyens.
Voilà l’objectif obsessionnel que vous peinez tant à atteindre. D’ailleurs, vous avez tellement de mal a satisfaire aux exigences du Conseil constitutionnel que vous avez introduit un article 3 ter A qui dispose que « la durée de la peine prononcée doit concilier la protection des droits de propriété intellectuelle et le respect du droit de s’exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile ». Charge au juge de trouver cet impossible équilibre.
Je tiens à rappeler, à toutes fins utiles, que cette suspension ne pourra selon l’ARCEP concerner plus de 3 millions d’internautes pour lesquels il est impossible de couper leur accès internet sans couper en même temps leur accès à la télévision et à la téléphonie, ce qui laisse à nouveau subsister une rupture d’égalité entre nos concitoyens. En ce qui concerne l’applicabilité de cette loi, les experts de l’INRIA vous ont également adressé des mises en garde que vous avez préféré ignorer.
Par ailleurs, nous attendons toujours du gouvernement une réponse à une question pourtant simple, qui ne nous a jamais été donnée jusqu’à présent malgré notre insistance : qui va payer les 70 millions d’euros estimés comme nécessaires par le CGTI, organisme dépendant de Bercy, pour l’adaptation des opérateurs techniques à la mise en œuvre de ces suspensions ?
Vous ne pouvez pourtant ignorer ces données qui sont autant d’obstacles juridiques, techniques et financiers.
En ce qui concerne le deuxième dispositif prévu à l’article 3 bis de votre projet de loi, c’est à dire le défaut de négligence caractérisée, il est tout aussi juridiquement risqué que le précédent.
Ce dispositif est, en effet, particulièrement contestable, encore plus peut être que la manière avec laquelle vous avez abusivement assimilé le téléchargement illégal à de la contrefaçon dont l’objet est, par nature, lucratif.
En fait, conscients de la difficulté matérielle de prouver le délit de contrefaçon, vous recourrez à nouveau à un dispositif qui permet de sanctionner un internaute qui n’est pas l’auteur du téléchargement illégal. C’est ainsi que vous créez une sanction contraventionnelle pour négligence caractérisée et que vous remettez dans le circuit, si j’ose dire, la présomption de culpabilité pesant sur l’internaute déjà sévèrement pointée par le Conseil constitutionnel.
Nous n’avons pas, à cette heure, malgré nos demandes, le projet de décret qui accompagne ce projet de loi. Et pourtant, l’objectif est clair, comme le souligne M. Riester dans son rapport. Si, je cite, « il n’est pas établi que l’abonné a lui-même procédé au téléchargement constaté sur sa ligne », alors il encourt une contravention de 5ème classe et une suspension de son accès à internet jusqu’à un mois. En résumé, comme on ne sait pas qui est coupable, l’abonné est désigné arbitrairement comme responsable puisqu’il est supposé avoir laissé autrui sciemment commettre un délit de contrefaçon sur sa connexion .
Le projet de loi confie au règlement le soin de définir cette négligence caractérisée. Le seul élément de précision nous est apporté par le Rapporteur qui nous indique tout au plus, je cite, qu’on « peut penser que la négligence caractérisée sera avérée par exemple si un abonné que l’Hadopi aura mis en demeure de mettre en œuvre un dispositif de sécurisation labellisé ne l’a pas fait ». C’est à la fois court et lourd d’enseignements.
Ainsi, le projet de loi conduit implicitement à une obligation d’installer des moyens dits de sécurisation dont nous ne savons rien à cette heure, qui risquent d’être coûteux pour l’internaute, dont nous ne savons pas dans quelle mesure ils seront interopérables et adaptés à toutes les configurations informatiques, nous pensons ainsi tout particulièrement aux logiciels libres. Nous en avons largement débattu, lors d’Hadopi 1, en apportant tous les éléments démontrant leur inefficacité .
Il faudra dès lors établir concrètement que l’abonné n’a rien fait pour sécuriser sa ligne. Comment s’y prendre? L’internaute peut très bien avoir essayé sans obtenir le résultat escompté. Sécuriser sa ligne n’est pas chose facile, et outre le fait que la sécurisation parfaite d’une connexion Internet est techniquement irréalisable, il nous semble difficile de justifier une sanction privative de la liberté d’expression et de communication pour punir ce type d’infraction.
Vous allez ainsi placer les internautes dans une insécurité juridique inacceptable.
De plus, les trois clauses d’exonération de responsabilité qui étaient prévues dans Hadopi 1 ne sont pas reprises dans Hadopi 2. Vous avez ainsi fait le choix d’un durcissement inquiétant.
Autre exemple de ce durcissement, vous créez, ce qui n’avait jamais été évoqué jusqu’alors, une sanction supplémentaire, à savoir une amende de 3750 euros pour l’internaute qui contournerait l’interdiction de souscrire un nouveau contrat d’abonnement à internet.
Nous ne pouvons donc que constater combien le dispositif que vous voulez mettre en place crée une disproportion des peines intolérable .
Ainsi, pour le délit de contrefaçon, l’internaute risquera, si cette loi est votée : une amende jusqu’à 300 000 euros, de la prison jusqu’à 3 ans, la suspension de son accès internet jusqu’à un an, le paiement – ce qui reste scandaleux- de son abonnement durant la suspension alors que rien ne le justifie dans la mesure où il ne bénéficiera plus de la prestation, et le paiement de dommages et intérêts. Ces peines seront par ailleurs inscrites dans son casier judiciaire.
De la double peine prévue dans Hadopi 1, on en est donc arrivé à la quintuple peine dans Hadopi 2. Vraiment, bravo ! On est bien loin du « cadre psychologique » cher à Madame Albanel. Vous avez fait un choix. Il est clair. C’est celui du tout répressif au risque à nouveau de l’inconstitutionnalité. C’est la raison pour laquelle nous vous conseillons, mes chers collègues, de voter cette motion préalable de rejet qui vous permettra prudemment de ne pas avoir à délibérer de ce nouveau monstre juridique, de cette nouvelle usine à gaz.