Cérémonie Square Marcel Rajman – 21 février 2010
Mesdames et Messieurs,
Il faisait froid au Mont Valérien ce même 21 février, il y a 66 ans, jour pour jour, quand Marcel RAJMAN et ses compagnons firent face au peloton d’exécution. Au pied d’une pente abrupte et boisée, se prolongeant en une clairière au sol sableux, quatre poteaux étaient dressés. Là, une trentaine de soldats de la Wehrmacht, portant manteau long, casque sur la tête et fusils en mains, s’apprêtaient, sous le commandement de quelques officiers, à obéir au pire des ordres militaires : celui d’exécuter des hommes.
Les mains attachées dans le dos, les yeux bandés, Marcel RAJMAN et ses camarades de lutte ont alors fait face, les uns après les autres, à leurs bourreaux et à leur destin. Sous les balles, leurs cœurs se sont arrêtés de battre et le sang versé pour la France a cessé de réchauffer leurs corps.
C’est ainsi, dans le froid du mois de février 1944, que s’est achevé le combat glorieux du groupe de Missak MANOUCHIAN, « à deux doigts de la victoire et du but », pour reprendre les mots qui furent ceux de ce poète en armes, de ce poète arménien qui, avant de mourir, a voulu souhaiter « bonheur à ceux qui allaient survivre et goûter la douceur de la liberté et de la paix de demain ».
Nous sommes réunis, aujourd’hui, pour honorer la mémoire de Marcel RAJMAN et de ses 22 compagnons de lutte, abattus en même temps que lui. Nous honorons également la mémoire de Golda BANCIC, exécutée à Stuttgart, le 10 mai 1944, et rendons hommage à toutes celles et tous ceux qui, n’étant pas français, ont combattu – et pour beaucoup donné leur vie – pour la défense de notre pays.
En ce jour, nous accomplissons un devoir, celui de nous souvenir de ces femmes et de ces hommes qui, comme l’a si bien souligné Louis ARAGON, ont donné « leur cœur avant le temps ».
Avant le temps en effet, car quand il tomba sous les balles des nazis, Marcel RAJMAN, enfant du 11e arrondissement, avait tout juste 20 ans. Né en Pologne en 1923, c’est en 1930 qu’il est arrivé à Paris avec ses parents et son petit frère Simon, tous chassés par une haine antisémite qui annonçait déjà l’horreur à venir.
Marcel RAJMAN et sa famille étaient tels ces quelques millions d’étrangers qui, dans les années 30, fuyant le nazisme, le fascisme et l’antisémitisme arrivèrent en France, pays qu’ils croyaient être cette patrie des Droits de l’Homme à même de leur offrir la liberté et d’être un refuge au milieu du chaos. C’est ainsi, dans le 11e arrondissement, que Marcel RAJMAN apprit, petit à petit, à être de ce pays que ses parents avaient choisi.
Dans ce pays pourtant, en 1940, la liberté n’avait plus cours ; l’égalité et la fraternité non plus. Avec l’entrée des armées nazies et la complicité de certains, en quelques semaines, la République s’est écroulée et avec elle ses grands principes. Dès lors, les Français juifs ont perdu leur condition de citoyens et ont partagé le sort de tous ces étrangers qui, résidant, travaillant en France et aimant la patrie qu’ils avaient choisie, n’en avaient pour autant pas la nationalité.
Parmi ces étrangers qui avaient choisi la France, beaucoup entendaient se battre et la défendre ; ils vinrent ainsi grossir les rangs de la Résistance. Un groupe fut particulièrement actif et livra un combat sans merci contre l’occupant. Il s’agit des Francs Tireurs Partisans de la Main d’œuvre Immigrée. Les femmes et les hommes qui la composaient étaient des étrangers (polonais, hongrois, arméniens, italiens anti-fascistes, républicains espagnols,…). Ils étaient pour la plupart communistes ; beaucoup également étaient juifs.
Ce fut, éclaté en petites unités, que le groupe des FTP-MOI, d’abord dirigé, à Paris, par Boris HOLBAN, puis Missak MANOUCHIAN, mena une action déterminée et efficace qui atteignit sérieusement les militaires nazis présents dans la capitale. A la tête d’une de ces unités, se trouvait un jeune combattant, aux gestes surs et au courage remarquable. Son nom était : Marcel RAJMAN.
Les faits d’armes du groupe MANOUCHIAN ont rapidement poussé l’occupant à exiger de la police française que le groupe soit mis dixit « hors d’état de nuire ». Ce fut chose faite le 16 novembre 1943. De cette arrestation, l’occupant entendit faire grande publicité en organisant un procès et en placardant sur les murs de Paris une affiche rouge stigmatisant des étrangers qui, n’étant pas français, ne pouvaient donc être des libérateurs. Ce fut donc comme juif et polonais que Marcel RAJMAN fut fusillé le 21 février 1944 au Mont Valérien, comme le furent plus d’un millier de résistants entre 1941 et 1944.
La mémoire se nourrit de faits mais également d’images. Et il y a quelques semaines de cela, des images ont justement ressurgi du plus profond de l’oubli. Début décembre dernier, avant le jour anniversaire de la première exécution collective au Mont Valérien qui eut lieu le 15 décembre 1941 et dans laquelle fut tué le journaliste, député et résistant Gabriel PÉRI, trois clichés en noir et blanc sont réapparus, après plus de 60 ans.
Sur ces clichés, on voit une pente abrupte et boisée, une clairière au sol sableux, quatre poteaux dressés, des soldats mécaniquement alignés et des hommes fusillés. Leur cœur a cessé de battre ; ils ont froid. Telle est la dernière image qu’il nous reste de Celestino ALFONSO, de Wolf Josef BOCZOR, d’Emeric GLASZ et de Marcel RAJMAN.
Tous ces hommes ont en commun d’être venus d’ailleurs pour mourir en France et mourir pour la France. De ces hommes qui purent être vus comme des « étranges étrangers » pour reprendre, bien que hors contexte, la formule de Jacques PRÉVERT, la France doit se souvenir du combat. Un combat qui a fait se mêler le sang versé. De ce sang, le même Louis ARAGON qui nous demande de nous souvenir de RAJMAN, en parle mieux que quiconque dans un poème dédié à Gabriel PÉRI que j’évoquais à l’instant, mais également à Honoré D’ESTIENNE D’ORVES, Gilbert DRU et Guy MÔCQUET.
Dans ce poème (La rose et le réséda), ARAGON nous dit cette évidence : « Un rebelle est un rebelle, Deux sanglots font un seul glas, (…), Et leur sang rouge ruisselle, Même couleur même éclat ».
La France doit se souvenir que c’est en partie grâce à l’apport de l’extérieur et du sang versé qu’un jour est venu l’éclat de son salut.
Que la France s’en souvienne, que la France médite et que, consciente de son passé et de son histoire, elle bannisse à jamais de son avenir les mauvais réflexes qui visent à exclure. Que la France ne cherche pas en vain à identifier qui est Français mais qu’elle fasse en sorte que, qui le souhaite, puisse s’identifier pleinement à son idéal de liberté, d’égalité et de fraternité. Un idéal auquel Marcel RAJMAN et ses compagnons ont voulu croire jusqu’au bout et qui a finalement résisté à toutes les balles de leurs assassins. Tel est l’héritage qu’ils nous ont transmis. Il est de notre responsabilité de le faire prospérer.