Discussion générale – Projet de loi LOPPSI

Madame la présidente,

Monsieur le ministre,

Monsieur le rapporteur,

Mes chers collègues,

 

En guise d’entrée en matière, je me permettrai de citer le syndicat de la magistrature et le syndicat des avocats de France, qui viennent conjointement d’appeler « les parlementaires et tous les citoyens soucieux du respect des équilibres démocratiques à s’opposer fermement à ce nouveau projet liberticide qui nous prépare une société du contrôle ».

 

Je ne m’attacherai, pour ma part, qu’aux dispositions qui visent à lutter contre la cybercriminalité car, ne serait-ce que sur ce sujet, il y a de quoi dire!

 

En ce qui concerne le délit d’usurpation d’identité sur le net, l’inquiétude vient tout d’abord de la notion même, qui n’est pas définie dans le texte, de ce qu’est l’identité d’un tiers ou les données qui lui sont personnelles sur internet. Ainsi, la crainte que ce texte permette de sanctionner les détournements parodiques, fréquents sur le web, s’est légitimement installée. Si ce risque relève du fantasme, il faudra alors lever le doute en précisant, par voie d’amendement, les dispositions de l’article 2 lorsqu’il viendra en discussion.

 

De fait, c’est à l’article 3 qu’apparaît de manière plus flagrante la tonalité générale du projet de loi : une méfiance à l’égard de tout ce qui vient d’internet. Il s’agit en effet, dans cet article, d’aligner, tenez-vous bien, les peines relatives à certains délits prévus par le code de la propriété intellectuelle quand ils sont commis par voie de communication au public en ligne, c’est-à-dire sur internet, sur celles déjà applicables lorsque le délit est commis en bande organisée ou lorsque les faits portent sur des marchandises dangereuses pour la santé, la sécurité de l’homme ou l’animal. On mesure toute la disproportion. La seule utilisation d’internet en la matière devient en soi une circonstance aggravante.

 

Comment pouvez-vous le justifier ? Internet n’est qu’un moyen de diffusion, un moyen de communication. Si l’on peut concéder qu’il rend la contrefaçon plus facile, cela ne change ni la nature ni la gravité du délit au point d’en aggraver les sanctions pénales.

 

Nous sommes inquiets quand, à nouveau et de manière répétée, nous assistons, au sein de cet hémicycle mais aussi dans le débat public, à une mise au banc des accusés de ce média qu’est internet. Nous avons vu, avec HADOPI et la censure historique du Conseil constitutionnel, jusqu’où l’aveuglement pouvait conduire.

 

Lorsque Jean-François Copé déclare qu’ « internet est un danger pour la démocratie », et quand Henri Guaino soutient que la transparence d’internet est « le début du totalitarisme », il y a là une diabolisation qui révèle combien vous est insupportable l’idée qu’internet est un moyen de communication que vous ne pouvez maîtriser, que vous ne pouvez contrôler.

 

Nulle candeur dans notre propos, car nous considérons qu’internet n’est après tout que le reflet d’une société où le meilleur côtoie le pire.

 

Et vous nous trouverez toujours au premier rang de ceux qui combattent la diffusion des idées racistes et antisémites, et des images pédopornographiques sur internet. Mais là encore, il est nécessaire d’être clair sur les moyens. De justes causes doivent-elles nécessairement renvoyer à des dispositifs de filtrage, comme le disait le Président de la République le mois dernier lorsqu’il présentait ses vœux au monde de la culture, ou à des mécanismes d’autocensure sous couvert de responsabilisation des hébergeurs, comme l’a suggéré le Premier ministre plus récemment? Nous le contestons d’autant plus que nous considérons que la neutralité du réseau est un enjeu central pour la liberté d’expression et de communication.

 

À cet égard, nous nous réjouissons que l’amendement de notre collègue Tardy visant à ce que seul un juge puisse accorder le blocage de l’accès à un site ait été adopté en commission. Nous sommes néanmoins très surpris de lire dans le rapport que la rédaction de cet article devra être modifiée en séance publique. Ce serait non seulement un retour en arrière regrettable, mais, au-delà, un risque pris par le Gouvernement, puisque, en envisageant de confier à une autorité administrative ce pouvoir de sanction débouchant sur un possible filtrage de l’accès à internet, il se heurterait, à n’en pas douter, à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

 

Quoi qu’il en soit, il nous semble incontournable de préciser que la « liste noire » établie doit bien être constituée d’URL précises, et non de domaines entiers. En effet, à défaut, en voulant filtrer un site « pédopornographique », il y aura un risque non négligeable que soit bloqués non seulement une adresse mais le domaine tout entier qui contient d’autres sites parfaitement légaux. C’est d’ailleurs pour ne pas prendre ce risque trop important de surblocage qu’en Allemagne, le président Horst Köhler a refusé de promulguer la loi connue sous le nom d’ Internetsperren-Gesetz.

 

Au-delà, comment ne pas avouer notre perplexité en constatant que vous vous attaquez, dans ce texte, uniquement aux moyens de diffusion de contenus illégaux? Ces dispositions ne s’attaquent ainsi qu’à la manifestation, au moyen de diffusion, et non à la cause – les auteurs des contenus en question –, ni aux conséquences, celles qui affectent les victimes.

 

C’est sans aucun doute là que se situent toutes les limites de l’exercice que vous nous imposez soudainement à la veille des élections régionales.