Proposition de loi – Urbanité réussie de jour comme de nuit
Madame la Présidente,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Vice-Président de la Commission des Lois
Madame la Rapporteure, qui êtes à l’initiative de cette excellente proposition de loi,
Chers collègues,
La ville – c’est sa caractéristique essentielle – concentre sur un territoire limité un nombre important d’habitants et d’activités. Elle est le lieu par excellence de la multiplication des initiatives et de l’interaction permanente entre les individus. La formule qui semble attribuer ce seul privilège à New-York, vaut en fait pour toutes les grandes villes du monde : elles ne dorment jamais.
Le 20e siècle a été celui du triomphe de la civilisation urbaine. La ville constitue, en effet, à l’échelle mondiale, le milieu de vie dominant. Ce phénomène qui vaut massivement pour la France nous invite ainsi à repenser nos modes de régulation du vivre ensemble.
La ville est une densification de la vie collective. Les problèmes s’y posent avec une intensité toute particulière qui réclame des réponses, notamment législatives, adaptées.
La proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui constitue, en ce sens, une initiative particulièrement heureuse qui permettra de compléter le cadre dans lequel agissent les élus locaux en milieu urbain. En effet, ce milieu est marqué par des contradictions fortes entre le développement des activités, et notamment de divertissement, et le besoin de tranquillité. Des contradictions auxquelles il faut faire face et qu’il s’agit de réconcilier en organisant au mieux ce qui fait l’attractivité et l’intérêt d’une ville cependant que symétriquement sont prises en compte les aspirations légitimes de celles et ceux qui y résident.
Cette proposition de loi entend donc courageusement apporter des solutions adaptées à des problèmes qui se font de plus en plus criants et qui laissent parfois germer dans les esprits de fausses représentations de la réalité.
Ainsi, par exemple, depuis quelque temps, circule l’idée que Paris, en matière de sorties nocturnes, serait devenue bien pâle au regard d’autres villes comme Londres, Berlin ou Barcelone. A en croire les propos tenus, Paris, après avoir été une référence mondiale pour la vie nocturne, se meurt en silence la nuit.
Cette perception relayée par de nombreux artistes, exploitants de lieux de diffusion, acteurs des musiques actuelles et professionnels de la nuit ne peut que nous interpeller. Et ce d’autant plus que cette perception paraît s’étendre, au-delà de Paris, vers d’autres grandes villes de province, pourtant connues pour le dynamisme de leur vie nocturne telles Rennes, Toulouse ou Bordeaux.
Il s’agit donc de prendre en compte les inquiétudes légitimes des lieux de culture et de diffusion de proximité tout en prenant en considération les attentes des habitants. En d’autres termes, et pour reprendre les propos que le Maire de Paris, Bertrand DELANOË, a tenu en ouverture des Etats Généraux de la Nuit qui se sont tenus à Paris, en novembre 2010, « il faut prendre au sérieux l’ensemble des demandes : le besoin de tranquillité, mais aussi de fête ».
Des Etats généraux de la Nuit parisienne qui, en rassemblant des sociologues, des urbanistes, des professionnels de la nuit, des associations de riverains, des habitants membres des conseils de quartier et des élus locaux ont été un moment d’échanges fructueux permettant de nourrir la réflexion et de contribuer ainsi efficacement à la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui.
Je le disais à l’instant, il est heureux que la loi s’intéresse au sujet délicat qu’est celui du partage harmonieux de l’espace public. Ce sujet est, en effet, générateur de tensions croissantes entre les habitants (qui n’hésitent pas à s’organiser en associations de riverains) et les exploitants d’établissement à vocation nocturne (qui, eux-mêmes, ne manquent pas de se regrouper pour faire entendre leur voix). Des riverains et des exploitants qui se tournent spontanément vers les élus locaux qui sont des interlocuteurs logiques et pourtant souvent démunis face à un vide juridique ou à un certains nombre de limites qui les empêchent d’agir concrètement.
La première des limites tient aux moyens permettant de faire respecter les règles liées à l’occupation commerciale de l’espace public. Dans ce domaine, il faut avancer avec un principe simple : tout règlement ne tient que par les sanctions qu’il prévoit.
Or, force est de constater que les sanctions prévues aujourd’hui ne sont en rien efficaces. Il y a par conséquent le besoin incontestable d’un dispositif réellement dissuasif permettant de contraindre les contrevenants au règlement. C’est pourquoi, les dispositions contenues dans le Titre I de cette proposition de loi qui donnent aux maires et aux municipalités la possibilité d’établir des sanctions graduées et proportionnées intégrant notamment une astreinte en cas de non mise en conformité, constituent une avancée décisive permettant aux élus locaux d’assumer pleinement et efficacement leur rôle de régulateur.
Des régulateurs, les élus locaux doivent pourvoir l’être pleinement, eux qui – si j’ose m’exprimer ainsi –, se trouvent pris entre deux feux. Cette réalité, en tant que Maire du 11e arrondissement, arrondissement festif, et dans lequel se trouvent les quartiers de sortie à réputation mondiale Bastille et Oberkampf, je crois la connaître de manière assez fine.
Cette réalité est l’expression d’une complexité dans laquelle il est impératif de prendre en compte les intérêts individuels et collectifs.
Parmi ces derniers, il en est un, essentiel, qui consiste à maintenir une vie culturelle et festive qui, par ailleurs, est déterminante dans l’attractivité et l’intérêt d’une ville. C’est en ce sens qu’un équilibre doit être atteint assurant aux établissements qui respectent pleinement les règles et normes de bénéficier d’un cadre mieux adapté donnant une plus grande place à la médiation.
C’est en ce sens que l’article 6 qui prévoit des amendes pour abus de recours aux numéros d’urgence pour tapage nocturne est un moyen, certes audacieux, mais je crois pertinent. Il doit permettre à la fois de diminuer le volume de plaintes injustifiées mais également d’orienter les appels vers les commissariats de proximité qui seraient, si des moyens humains étaient affectés à ces missions, l’échelon idoine pour mener une action efficace de médiation.
Un cadre mieux adapté pour les établissements de nuit, à la nature d’ailleurs de plus en plus diversifiée, consiste également à réduire un aléa qui pèse trop lourdement sur leur activité, et notamment lors de leur démarrage. Cet aléa tient à la durée trop courte de la première autorisation d’ouverture de nuit. Aussi, l’expérimentation à Paris d’une première autorisation de nuit durant 6 mois doit-elle permettre aux nouveaux établissements d’envisager de manière moins risquée leur programmation. Ce mécanisme est d’autant plus vertueux que l’établissement a tout intérêt à ne pas commettre d’infraction au cours de cette période car, dans ce cas, il peut alors envisager un renouvellement de son autorisation d’ouverture pour une durée d’un an.
Mes chers collègues,
Pris entre deux feux, la tentation peut vite être celle de choisir un camp. Or, ce n’est pas cela le rôle de l’élu. Ce rôle, c’est au contraire, dans la sérénité et l’équilibre, de pouvoir décider de ce qui est bon pour la collectivité dans son ensemble.
La ville pose de nouveaux défis et les conditions du vivre ensemble en milieu urbain constituent incontestablement un champ législatif à investir.
Cette proposition de loi certes ne règle pas tout, mais elle a le mérite d’explorer de nouvelles voies et d’amorcer une action attendue à la fois par les habitants des villes mais également par les professionnels de la nuit qui se sentent finalement, les uns comme les autres, abandonnés.
Dès lors, il n’y aurait rien de pire que ne rien tenter. Car c’est n’est pas du silence ou du bruit que les villes se meurent, mais bien d’immobilisme.
Je vous remercie